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ni le soleil ne sauraient tout faire, ils ne sauraient rétablir, malgré lui, la grandeur de Doria !

Vous quittez Gênes tout comme vous avez quitté Nice, en traversant la montagne. Aussi, ce nouveau chemin-là s’appelle la rivière d’Orient ; c’est tout-à-fait le même aspect ; mêmes villages, mêmes cris de joie, même beauté, même grandeur dans le paysage, et toujours et à chaque instant cette belle mer qui vous sert de cortège royal. Seulement, à Chiavari, le soir, notre mer avait fait mine d’être en colère ; mais figurez-vous la colère d’un bel enfant, qui sourit même au milieu de ses larmes. — Dans le lointain éclate le golfe de la Spezzia. — Plus loin, se présente un torrent, la Magra, et nos Italiens, nous voyant arriver, de lever les mains au ciel ! Le torrent était terrible, il roulait des montagnes, il était profond, il était perfide, nous marchions à la mort à coup sûr. Oh ! les poètes ! De braves moines étaient assis sur le rivage, la besace pleine et les mains jointes, et ils attendaient patiemment que toute la Magra fût écoulée. — Eh bien ! m’écriai-je, le sort en est jeté, nous passerons ! — Qu’à cela ne tienne, excellence ! dirent les bateliers, et les voilà à l’eau qui traînent la barque. — Ce terrible torrent avait tout au plus assez d’eau pour nous porter.

Au reste, il n’en faut pas trop vouloir à la Magra de ces admirables histoires de dangers et de précipices : Ce torrent, qu’il faut traiter sans respect, fait vivre de temps à autre, lorsqu’il fait sa grosse voix, les hôteliers de la rive droite, et le seigneur Bibolini, l’hôtelier de la rive gauche. Rien n’était plus facile et plus dans les goûts de sa majesté le roi de Sardaigne que de jeter un pont sur cette terrible Magra, mais le roi de Sardaigne n’a pas voulu déplaire au seigneur Bibolini ; parlez-moi des rois absolus, pour avoir de ces complaisances-là.

Mais silence ! soyons recueillis et attentifs ! En fait de royaumes, en voici un qui est pour moi, après la France, le plus beau royaume de ce monde, — le royaume de Lucques. — Ce beau pays s’annonce de la façon la plus verdoyante et champêtre. Vous marchez à travers toute sorte de prairies chargées d’arbres ; la pluie qui tombe depuis le matin a ranimé toute cette verdure, balayé ces beaux sentiers, rendu le mouvement et le murmure à tous ces ruisseaux jaseurs. Mais la pluie en Italie ! c’est le voile transparent qui cache le soleil ! Ainsi vous allez de la montagne à la vallée, de la vallée à la plaine, inquiet, ému, heureux, et le cœur vous bat bien fort. — Et pourquoi ce grand batte-