Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/783

Cette page a été validée par deux contributeurs.
779
LE VOYAGE D’UN HOMME HEUREUX.

pages que j’ai écrites il y a deux ans (qui donc y penserait si non moi ?), je sens la rougeur me monter au front, tant je me trouve froid, ingrat, terne et peu éloquent à propos de cette merveille de l’Italie. Oui, la voilà encore une fois sous mes regards. Voilà le port, voilà les chefs-d’œuvre, voilà toutes ces grandeurs évanouies. Visitons encore une fois ces grands seigneurs hospitaliers, les Durazzo, les Brignole, les Balbi, les Doria ; que je vous revoie encore, jardins, fontaines, terrasses suspendues dans les airs, beaux marbres aux couleurs infinies, chefs-d’œuvre sans nombre du Corrège, de Léonard de Vinci, de Pâris Bourdonne, du Guide, de Vandick et d’Holbein, chefs-d’œuvre dignement abrités dans les maisons royales élevées sur cette mer par Galéas Alessi, Barthélemy Bianco, Tagliafico et tant d’autres ! — Le palais Balbi, antique s’il en fut, s’était paré de toute la grace, de toute la jeunesse, de tout le bonheur qu’apporte avec elle la jeune fille mariée au jeune homme qu’elle aime. Aussi la vieille maison avait-elle un air de fête inaccoutumé. Seulement toute une partie du palais, consacrée à la vieille mère, reste morne, silencieuse et sévère comme autrefois. — Dans les jardins Doria (un homme de la douane veille à la porte du Doria !), dans les jardins Doria, l’herbe a cessé de pousser, les rosiers ont été taillés par une main secourable, les vieux arbres ont été émondés ; déjà les marbres des allées se débarrassent de leur mousse épaisse ; bien plus, bien plus, ô quelle joie ! l’écusson des maîtres reparaît au fronton du noble édifice, le Doria est attendu, le Doria va revenir, l’aigle à deux têtes le précède, et comment séparer long-temps ces deux grands noms, Gênes et Doria ! — Revenez cependant, revenez, qui que vous soyez, vous qui portez encore ce grand nom qui a été le signal de la liberté de tout un peuple. Revenez, car pour quelques fleurs qui vont se montrer de nouveau dans votre maison de la ville, votre maison des champs est en grand désordre. Savez-vous que l’avenue de votre château est encombrée de vignes grimpantes ? Savez-vous que le vent a emporté le toit de la maison, que les murailles gémissent et se dépouillent chaque jour des derniers vestiges de leurs fresques anéanties, que vos tableaux ont été achetés par le spéculateur, que vos beaux meubles ont été vendus à l’encan ? Accourez, accourez, prince Doria, si vous voulez rapporter à vos orangers des fruits et des fleurs, le mouvement et la limpidité à vos eaux, et quelques pas de jeunes femmes et d’enfans rieurs sur le sable de vos désertes allées. Hâtez-vous ! Dieu est grand, et le soleil est puissant sans doute, mais ni Dieu,