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de sa cuirasse, le mendiant et le gouverneur, le forçat libéré et le magistrat qui l’a châtié, ils marchent tous à cette heure les uns près des autres, chantant à l’envi, dans un chœur unanime, les saintes litanies.

Le lendemain au matin, de bonne heure, nous entrions dans cet admirable sentier, sur les Appenins, appelé la rivière de Gênes. Figurez-vous que vous passez en revue la terre et le ciel dans leurs plus doux aspects. Ce grand bleu nous éblouit et nous charme, les douces vapeurs du matin s’arrêtent à nos pieds, le soleil brille là-haut d’un vif éclat. Pardonnez-moi si c’est toujours la même description, mais c’est toujours le même délire.

Où montez-vous ? Dieu le sait, que vous importe ? Montez encore, montez toujours. Ne dirait-on pas que la montagne s’étend sous vos pieds comme ferait une plaine chargée d’ombrages et de murmures ? Voyez ! la culture est partout comme est partout la poésie. Le roc même est devenu fertile ; le torrent dompté travaille le matin comme un père de famille dans son usine, et le soir venu, il chante comme un jeune homme sous les fenêtres de sa maîtresse. Le sillon fertile gagne les hauteurs, enveloppé dans sa robe encore printanière moitié verdure, moitié fleurs ; à vos pieds, sur vos têtes, à droite et à gauche, les blanches villas vous provoquent sous leurs verts orangers. À chaque pas, ce sont des surprises nouvelles. La montagne se présente à vous menaçante, hérissée, toute chargée de la cascade qui gronde ; vous cherchez d’un œil inquiet par quel sentier perdu vous tournerez cet obstacle ; soudain, ô miracle ! la montagne recule et vous fait place, ou bien elle s’entr’ouvre devant vous, vous passez triomphant sous ces voûtes solennelles. Malheureusement, on a beau aller au pas, on a beau s’asseoir à chaque détour de la montagne, on a beau chercher à chaque instant une place favorable pour y dresser la tente d’ÉIie, celle de Moïse et sa propre tente ; on a beau s’arrêter sur le bord de la mer pendant que les pêcheurs ramènent leurs grands filets tous remplis de l’abondante moisson, on ne peut pas aller de Nice à Gênes en plus de deux jours. Trois heures suffisent à traverser le grand royaume de Monaco ; à Oneglia vous passez la nuit sur la montagne, c’est Nice encore, mais plus grande et plus calme. Cependant nous fîmes si bien, qu’il était nuit lorsque nous entrâmes dans Gênes, la ville de marbre, la ville des palais et des grands souvenirs, des grands peintres et des grands architectes. J’ai déjà parlé de Gênes, et bien souvent, mais lorsqu’en me promenant sur les remparts, je viens à penser aux