Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/781

Cette page a été validée par deux contributeurs.
777
LE VOYAGE D’UN HOMME HEUREUX.

Au pied de cette haute terrasse où nous marchons lentement, la mer, la mer italienne, la mer d’Ionie, cette mer qui conduisait du golfe de Naples à la ville d’Athènes, du Vésuve au Parthénon, nous accompagne de son doux et phosphorescent murmure. C’est alors ou jamais le moment de se rappeler les plus beaux vers des poètes, les drames les plus touchans, les passions les plus saintes, les rêves de la vingtième année qui reviennent en foule aux murmures de cette mer, à la clarté de ces étoiles, aux bruits charmans qui tombent de ces montagnes éclatantes. — Devant nous passent, comme autant d’ombres, de pâles jeunes gens, des jeunes filles moribondes ; ils sont venus là, ces pauvres malades, pour se rattacher à la vie, à la jeunesse, à ces deux trésors qui s’enfuient de leur poitrine brisée. — Dans le lointain, une voix fraîche et pure, quelque belle voix guérie par le vent embaumé qui se respire en ces lieux, chante doucement la complainte de la Desdemona d’Otello. C’est encore la mer, mais elle est calme ; c’est le même ciel, mais il est pur ; c’est peut-être au fond de ce jeune cœur qui chante, la même passion, mais elle dort. Il faut bien cependant que ce soit là l’œuvre souveraine d’un grand génie, pour que cette romance d’Otello, séparée du drame, ait encore ce grand retentissement dans votre ame et dans les lointains attentifs de la montagne et des flots !

Le son des cloches d’un jour de fête vint bientôt remplacer cette première nuit de l’Italie. Le soleil se montre radieux et comme un conquérant légitime qui s’empare de ses domaines aux acclamations universelles. En même temps le bruit reparaît dans les rues de la ville, et avec le bruit le mouvement. Les soldats réveillés sortent de leurs casernes au bruit de la musique. Dans toute église, dans toute chapelle, la prière éclate, non pas cette prière du bout des lèvres de nos belles dames parisiennes, une prière timide et qui se cache dans l’ombre ; la prière italienne monte tout droit et fièrement jusqu’au ciel ; elle parle à haute voix ; elle se met à genoux devant tous, dans les rues, au grand soleil, elle se frappe la poitrine de ses deux mains ; il faut les entendre chanter leur complainte, ces heureux chrétiens, on dirait d’une lamentation de Jérémie hurlée sous les murs croulans de Babylone ! Il faut les voir marcher en procession dans l’admirable pêle-mêle de cette immense oraison dominicale. Vous parlez d’égalité, de fraternité ; l’égalité, la fraternité, les voici qui passent, protégées par la même bannière. L’évêque, le diacre, l’enfant de chœur, le mendiant qui étale ses plaies, la noble dame qui étale ses diamans et ses perles, la cohue du peuple les pieds nus, le capitaine chargé