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pression des Brigands et de l’Anthologie lui fut réclamée instamment, Pour l’acquitter, il emprunta. En même temps ses rapports avec les acteurs lui firent prendre des habitudes de dissipation contre lesquelles la nature élevée de son esprit protestait vivement, et dans lesquelles il retombait encore après des heures de méditation et de repentir. Quelques années plus tard, le souvenir de ses jours de trouble, de regret et de fausses joies n’était pas encore effacé de sa mémoire. Il écrivait avec une courageuse franchise à celle qu’il devait épouser : Cette ville de Mannheim me rappelle bien des folies dont je me suis rendu coupable, il est vrai, avant de vous connaître, mais dont je suis pourtant coupable. Ce n’est pas sans un sentiment de honte que je vous conduirai dans ces lieux où je me suis égaré, pauvre insensé, avec une misérable passion dans le cœur. »

Le terme de son engagement avec le théâtre étant expiré, Dalberg ne se soucia plus de le renouveler, et, dans son froid égoïsme, au lieu de tendre une main secourable au poète, il l’engagea à quitter la carrière littéraire et à reprendre ses études de médecine. Schiller, qui craignait toujours que son ardeur poétique ne vînt à s’éteindre s’il n’avait pas d’autre moyen d’existence, n’était pas éloigné de suivre cet avis ; il demandait seulement que la direction du théâtre, en faisant avec lui un nouveau contrat, lui donnât le moyen d’aller passer une année à l’université de Heidelberg. Dalberg s’y refusa.

Schiller passa encore l’hiver de 1785 à Mannheim. Il avait entrepris de publier un journal de critique dramatique. Dans le prospectus de ce recueil, il racontait sa fuite du Wurtemberg, sa situation, puis il ajoutait : « Le public est maintenant tout pour moi. C’est mon étude, mon souverain, mon confident. C’est à lui que j’appartiens tout entier. C’est l’unique tribunal devant lequel je me placerai. C’est le seul que je craigne et que je respecte. Il y a pour moi quelque chose de grand dans l’idée de ne plus être soumis à d’autres liens qu’à la sentence du monde, et de ne pas en appeler à un autre trône qu’à l’ame humaine. »

Ce journal, dont l’idée plaisait à Dalberg et à d’autres hommes plus distingués, aggrava encore la situation de Schiller, qui, ne se laissant arrêter par aucune considération personnelle dans cette œuvre de conscience, attaqua vivement tout ce qu’il trouvait de répréhensible dans le jeu et l’accent des acteurs de Mannheim, et suscita parmi eux une violente colère. Les choses en vinrent au point que l’un de ces acteurs l’insulta un jour de la façon la plus grossière. Schiller résolut alors de quitter cette ville où il ne pouvait dire la vérité,