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REVUE DES DEUX MONDES.

Ses noëls sont charmans. Il y a surtout un petit duo entre l’ange et le pâtre, dans le genre du gratus eram d’Horace, qui est d’un effet des plus pittoresques. Figurez-vous que l’ange parle la belle langue française, et que le pauvre berger lui répond en patois. — Mais nous lisions cela sur le haut de la montagne qui conduit au bourg Argentai où nous devions coucher.

Entre un ange et un pâtre de Montagni :

L’ANGE.

Berger, ta paresse est étrange,
Et tu dors bien tranquillement ;
Va-t-en voir, au fond d’une grange,
Ton souverain logé bien pauvrement ;
Il recevra ton petit compliment
Avec un beau visage d’ange.

LE PÂTRE.

Sabe pas co que voulez faire ;
Pourquoi m’empatchiaz de dourmi ?
Qu’en sioz vou ? vau sauna mon paire, etc.

Je m’arrête ; il faudrait peut-être vous traduire cette chanson et ces noëls.

Chapelou a écrit son testament ; c’est tout-à-fait le testament d’un pauvre diable qui n’a rien et qui veut à toute force laisser quelque chose à ses amis. Ce testament se compose de deux cent soixante petits legs, qui réunis ne valent pas une pièce de vingt-quatre sous. Il laisse, par exemple, un plat ébréché à celui-ci, un rond de tabac à celui-là, à l’un des noyaux de pêche, à l’un un moineau, à l’autre la cage en osier ; et quand il a légué ces vingt-quatre sous à tant de personnes, il ajoute :

« Ce n’est pas tout, je dévoun à l’hôtessa trenta séy so, qu’éy ma fat poulitissa de me préyta… »

Un jour, il y a déjà long-temps, comme qui dirait douze années, je racontais à M. Charles Nodier (j’étais bien jeune, mais lui il l’est toujours) le testament de Chapelou ; Nodier me supplia de lui tout dire ; je lui dis ce que j’en savais, et lui, le voleur ! il s’en fut du même pas ajouter un charmant chapitre à l’Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux. Ce chapitre, tout rempli de grace, de cœur et d’esprit, c’est le testament de Chapelou.

Vous voyez bien, madame, que je n’écris pas un voyage, à Dieu