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Toute la contrée était en fête pour recevoir le saint prélat ; on attendait à la fois le compatriote et le pasteur ; on cherchait en même temps la bénédiction et la poignée de main fraternelle ; chaque maison se faisait belle ; ce sera demain dimanche à coup sûr. Entendez-vous dans le lointain retentir les cloches du soir ? Entendez-vous l’angélus qui monte et qui va se percher dans les arbres ? Dans la basse-cour du fermier, c’est un massacre général ; dans l’église doucement illuminée, ce sont des chants de fête qu’on répète ; toute l’armée catholique accourt de toutes parts pour contempler et pour saluer le pasteur ; c’est que de son antique poésie cette belle contrée a gardé la croyance. Elle croit, elle espère ; elle obéit à l’Évangile, comme à la plus touchante des idylles, comme au plus imposant des poèmes. Voilà sur quelles hauteurs elle a placé l’héroïsme, qui est sa gloire et sa force. Elle veut bien fabriquer le satin qui couvre le corps profane des belles dames, mais à condition qu’elle-même, elle portera de la bure ; elle veut bien fabriquer des fusils, mais à condition qu’elle fera aussi des charrues ; interrogez tous ceux qui passent en si grande hâte, ils vous diront qu’ils sont plus fiers d’être les frères d’un archevêque que d’un général d’armée. Demandez-leur aussi quels sont les poèmes qu’ils chantent en chœur, quel est le livre qu’ils lisent encore dans les mois de l’hiver. Est-ce l’Astrée ? est-ce le livre du gentilhomme d’Urfé ? Non pas ! Le seul poète dont ils sachent les vers, c’est un prêtre de ces contrées nommé Chapelou. Chapelou est, en effet, un grand poète. Il était enfant de bonne maison pour l’endroit, il était le fils d’un coutelier. Il vint au monde vers les dernières années de Louis XIV, à cette heure suprême de la fin de la monarchie où un autre prêtre, l’archevêque de Cambrai, jetait un si triste regard sur les destinées de la France. Messire Chapelou avait senti de bonne heure une grande passion pour les beaux arts. Il aimait naturellement la poésie, la musique. Il apprit en même temps les opéras de Lulli et les vers de Virgile. En ce temps-là nous étions encore bien plus près du Lignon qu’aujourd’hui ; l’abbé Chapelou trouva dans le fleuve sacré une dernière goutte de cette eau fécondante ; il y plongea sa tête jeune et bouclée, et il devint ainsi un poète sans le savoir, sans le vouloir. La poésie le poussa en Italie : l’Italie est si proche ! De Turin il vint jusqu’à Rome, et à Rome son premier soin ce fut de trouver un compatriote. Mais comment faire ? il entre à Saint-Pierre de Rome, et, les yeux fixés sur le chef-d’œuvre, il répète le shibolet stéphanois, un gros mot s’il en fut, un mot à faire crouler la voûte de Michel-Ange, s’il n’eût pas été prononcé par une