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à mes beaux rêves, à ma douce flânerie à travers les émotions contemporaines, cela me coûte bien plus que je ne sais vous dire. Cependant nous voilà partis en toute hâte, tout d’un coup, sans plus de précautions, que le héros du Voyage sentimental. — Nous ferons notre valise en chemin et nous nous dirons adieu dans la forêt de Fontainebleau. — Adieu donc, et voilà la grande route qui s’empare de nous comme de sa proie. Nous marchons vite, à quatre chevaux et comme des gentilshommes en vacances, faisant claquer notre fouet, il fallait voir. Le mouvement, le bruit, la poussière, le soleil, les joyeux hennissemens du chemin, tout nous charme. Le plaisir d’aller tout droit devant soi, c’est si bon ! Voici déjà Fontainebleau, la ville royale ; nous saluons cet entassement de châteaux qui se prélassent dans leurs jardins français. Le soir venu, nous faisons halte dans une vieille auberge dont le jardin est entouré d’eaux murmurantes ; de la fenêtre encadrée de lierre, nous voyons passer dans la rue une nouvelle mariée du village ; cette nouvelle mariée, ce n’était rien moins qu’une jeune et belle personne parisienne, naguère encore l’honneur de l’Opéra, des Italiens, des bals et des fêtes, de tous les lieux où il s’agit d’être belle et parée, et qui, renonçant au monde, au Satan parisien, à ses pompes et à ses œuvres, venait d’épouser modestement le maître de poste de l’endroit, un beau jeune homme qui avait l’air de lui dire — Vous n’en serez pas fâchée, ma belle comtesse. Ainsi va le monde. Autrefois c’étaient les princes qui épousaient les bergères. La jeune et belle dame nous fait en passant un aimable sourire, nous vidons nos verres à sa santé, et puis en voiture ! Cependant le ciel s’était chargé d’orage ; dans le nuage grondeur brillait l’éclair innocent du mois d’août ; notre bonne hôtesse, qui nous avait adoptés parce qu’après tout elle nous avait trouvés faciles à vivre, nous disait : — Ne partez pas ! vous allez avoir la tempête ; restez ici cette nuit, vous partirez demain après l’orage. — Non pas demain, tout de suite ; Paris n’est pas déjà si loin qu’il ne puisse nous atteindre ; partons, car déjà il me semble que je vois s’allumer les lustres du théâtre ; il me semble que j’entends les accords de l’orchestre ; cette voix rauque qui gémit sous la porte cochère, n’est-ce pas, je vous prie, le tragédien qui déjà lance ses vers ? Partons donc, et vive l’orage !

Une seule lumière brillait dans cette profonde nuit, un seul bruit se faisait entendre, c’était la jeune Parisienne qui déjà préparait de son mieux toutes choses dans son petit Glandier, où elle était fort décidée à se laisser être heureuse. À travers la glace brillante de sa fenêtre se