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REVUE. — CHRONIQUE.

Il est donc vrai que la passion méconnaît tous les faits et se moque de l’histoire. Dans les pays aristocratiques, les hommes d’état tombent difficilement, mais il est vrai que la chute d’ordinaire y est mortelle. Dans les démocraties, au contraire, les hommes tombent facilement, mais ils ne périssent point ; il n’y a point de défaite irréparable, point de blessure incurable. Est-ce à dire que leurs combats ne soient pas déplorables ! que le pays puisse s’en réjouir, s’en divertir impunément ? Loin de là. S’il n’y a pas de morts, il y a des blessés dans tous les camps : la victoire elle-même est chèrement achetée, et il est arrivé plus d’une fois que les blessures du vaincu sont guéries avant celles du vainqueur. La raison est simple. Le vaincu peut se livrer au repos, il peut se faire oublier. L’oubli, cet oubli qui nous est si facile, est le remède souverain des blessures politiques. Si les blessures sont mortelles dans les aristocraties, c’est que les aristocrates n’oublient jamais. Mais si le vaincu peut se faire oublier, le vainqueur au contraire doit lutter tous les jours, lutter avec les hommes, avec les évènemens, avec les accidens, lutter avec ses ennemis, bientôt avec ses amis. Les forces s’usent, nulle faiblesse ne peut se cacher ; on chancelle, on tombe, et le jeu de la bascule recommence. C’est l’histoire des démocraties. Est-ce à dire qu’il faille en prendre son parti comme d’une nécessité, s’y résigner comme on se résigne à l’alternative des saisons ?

Les hommes ne sont pas une matière inerte. Ils ont le pouvoir et l’obligation de choisir ce qui est bien et de résister au mal. Il n’est pas d’institution humaine, quelque bonne qu’elle soit, qui ne développe quelque tendance fâcheuse. C’est dans sa raison et dans sa force que l’homme doit en trouver le correctif. Que sont toutes ces péripéties ministérielles et tous ces combats violens, acharnés, qui agitent le parlement et inquiètent la France ? Que sont ces luttes d’homme à homme qui dévorent un temps précieux et font complètement oublier les intérêts les plus sacrés, les besoins les plus urgens du pays ? C’est une guerre intestine qui ne rappelle que trop ces discordes civiles qui ont perdu plus d’une démocratie dans l’antiquité, plus d’une bourgeoisie au moyen-âge. Nul ne meurt chez nous dans ces pugilats politiques, mais nul n’en sort sans meurtrissures, sans blessures ; nul ne peut apporter à son pays le tribut de toutes ses forces, nul ne peut lui consacrer tout ce qu’il possède de talent et de puissance. Nos hommes d’état sont des travailleurs toujours en présence de l’ennemi ; il leur faut avoir l’outil dans une main, l’épée dans l’autre, car, encore une fois, nous n’assistons plus à de simples débats parlementaires, mais à des combats personnels, corps à corps, qui, au fond, ne servent à rien et ne prouvent rien que la force et l’habileté des combattans. Il y a un mois que les chambres sont convoquées. Qu’ont-elles fait ? Quand commenceront-elles à faire quelque chose ?

Au surplus, nous ne sommes point surpris de ce qui arrive. Il était facile de le prévoir. Nous l’avions prévu comme tout le monde et déploré d’avance. Ce que nous n’avions pas prévu, ce qui nous a fort surpris, c’est le moyen dont tous les combattans ont cru pouvoir se servir. Tout ce que notre diplomatie a fait, a dit, a pensé, a connu, a conjecturé depuis deux ans sur la