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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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30 novembre 1840.


La chambre des députés, le pays, l’Europe, assistent depuis quatre jours à une lutte dont ils conserveront un souvenir long et mêlé. Au point de vue de l’art, c’est un combat de géans. Pour ne parler ici que des deux hommes qui dirigent les deux camps et attirent sur eux-mêmes tous les coups de l’ennemi, jamais M. Thiers et M. Guizot n’ont donné des preuves plus éclatantes de leur admirable talent, de cette rare puissance de tribune qui exalte les amis politiques de l’orateur et inspire aux adversaires eux-mêmes un sentiment involontaire de crainte et d’anxiété. Si on pouvait ne songer qu’à l’art, ne se préoccuper que des combattans, de la diversité de leur talent, de tout ce que cette diversité jette de piquant, d’inattendu, de grand, d’électrique, dans les vicissitudes du combat, on pourrait se réjouir de cette joute parlementaire, on pourrait féliciter le pays qui peut faire descendre dans l’arène de si redoutables champions.

Mais, nous le dirons, ceux qui pensent avant tout à la France, à sa dignité, au rang qu’elle a le droit d’occuper dans le monde, ceux qui préfèrent l’intérêt français à tout intérêt de personne ou de parti, ceux qui déplorent de voir les forces nationales (les hommes habiles, puissans, ne sont-ils pas une des forces du pays ?) s’entrechoquer et travailler, non-seulement à mettre en lumière leurs pensées, mais à se détruire l’une l’autre, ceux-là ont dû plus d’une fois regretter une lutte parlementaire qui jusqu’ici n’a été, à vrai dire qu’un duel entre M. Thiers et M. Guizot, assistés chacun de nombreux amis. Pourquoi voulait-on rabaisser le 12 mai et incriminer le 29 octobre ? pour défendre M. Thiers. Pourquoi s’est-on efforcé de justifier complètement le 12 mai ? pour attaquer M. Thiers, pour faire peser sur lui seul la responsabilité des évènemens. Pourquoi ces éloges de l’administration du 1er mars, éloges au surplus que certes nous sommes loin de contredire ? pour écraser M. Guizot par l’apothéose de ses devanciers. On voulait de part et d’autre une lutte acharnée, une guerre à mort. Il faut détruire M. Thiers, c’est là le rêve d’un parti. Il va sans dire que le parti opposé fait le même rêve à l’égard de M. Guizot.