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de leur affranchissement, forment les quatre dernières catégories. Les affranchis ruraux ont tiré leurs noms des localités où ils ont fait élection de domicile, comme Du mont ou De l’orme. Les affranchis industriels ont choisi les noms de leur métier, comme Maçon, Boucher, Barbier, etc. Les affranchis domestiques, n’ayant ni possessions ni métiers, ont été désignés par leurs qualités morales ou physiques : de là tant de Lebon, Ledoux, Leroux, de Legrand. Enfin, la dernière catégorie comprend ceux qui ont fait de leur nom de baptême celui de leur famille, comme Vincent, Laurent, Thomas, etc. Les noms dont on ne retrouve pas la signification sont ceux dont l’étymologie se perd dans quelque patois oublié. Telle est, suivant M. Granier de Cassagnac, la loi générale qui régit les noms propres, et d’après laquelle on peut décider souverainement si un individu est de bonne souche.

N’est-ce pas un temps fort regrettable que celui où le seigneur ne daignait pas reconnaître la personnalité de ses inférieurs en leur accordant un nom particulier, et se contentait d’appeler Boulanger celui qui pétrissait son pain, et Vigneron celui qui taillait sa vigne ? Mais les choses ont bien changé depuis ! M. Granier de Cassagnac fait remarquer judicieusement qu’il suffit de jeter les yeux sur le panorama des enseignes de Paris pour voir « qu’une foule de Charpentier sont devenus boulangers, et qu’une foule de Boulanger sont devenus charpentiers. » Et il ajoute, avec un soupir de regret sans doute « Il y a même des Leblanc qui sont parfaitement noirs et des Legras qui sont parfaitement secs. » Funeste effet des révolutions !

Après avoir décrit à sa manière les signes caractéristiques de la noblesse, l’auteur raconte le rôle qu’elle joue à l’origine des sociétés. Il montre la fille aînée des nations, c’est ainsi qu’il l’appelle, civilisant les peuples par des enseignemens religieux, organisant les armées, distribuant le travail par l’institution de la hiérarchie féodale, écrivant les langues et inaugurant les littératures. Cette seconde section, beaucoup plus estimable que la précédente, provoque moins audacieusement la critique. On y trouve bien encore quelques fantaisies paradoxales, comme la révision du procès de Socrate, et l’incroyable explication de la guerre du Péloponèse, qui fut, non pas, ainsi qu’on l’a pensé jusqu’ici, une lutte politique, mais une croisade de vingt-sept ans, dans laquelle « il s’agissait pour Sparte de venger Minerve, et pour Athènes de venger Neptune. » Les lecteurs de M. Granier de Cassagnac savent qu’il faut, avec lui, glisser de temps en temps sur quelques feuillets pour arriver aux pages sérieuses et instructives. Celles-ci sont en assez bon nombre dans les six chapitres consacrés au sacerdoce antique et aux institutions militaires. La triple face de la théologie païenne, prêchée par les prêtres, controversée par les philosophes et chantée par les poètes, l’organisation du clergé romain, le recrutement des armées primitives, et surtout le système d’armement usité à diverses époques, ont donné lieu à des recherches fécondes, à des aperçus vraiment nouveaux et attachans.

Les chapitres suivans, qui ne promettent pas moins qu’une théorie nouvelle du système féodal, sont moins irréprochables. L’auteur, qui paraît avoir pris