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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

Le sujet en est historique, mais c’est à peine si on ose reprocher à l’auteur de n’avoir pas tenu compte de l’histoire, tant il est évident qu’il n’y a cherché qu’un prétexte, et n’y a taillé qu’à sa guise. L’usage et le cas que M. Scribe a toujours faits de l’histoire à la scène, lui donnent un trait d’exception de plus entre les autres auteurs plus ou moins dramatiques du jour, dont la prétention et la marotte sont d’observer la couleur dite locale, et de rester fidèles à l’époque. Chose remarquable ! tout ce mouvement soi-disant historique et romantique au théâtre et à côté du théâtre, tout ce travail estimable, ingénieux, qui a rempli et animé les dernières années de la restauration, M. Scribe ne s’en est pas plus inquiété que du torrent qui passe ; il a continué son train d’homme du métier, se laissant dédaigner des grands novateurs et sentant bien qu’il avait en lui le ressort, le seul ressort qui joue au théâtre. Tout le reste, on l’a trop vu en effet, n’était que critique, système, étude préparatoire éternelle.

Ainsi donc, que la reine Anne, qui monta sur le trône à trente-huit ans, en ait eu quarante-quatre ou quarante-cinq à l’époque où Mlle Plessy nous la rend si flattée et si jolie ; que son mari le prince George de Danemarck (effectivement très nul) soit réputé n’avoir jamais existé ; que la duchesse de Marlborough se trouve incriminée à tort sur le chapitre de la chasteté qu’elle eut toujours irréprochable, peu importe à M. Scribe, qui ne s’est servi de tous que comme de marionnettes à son dessein de la soirée. Mais une reine, mais une noble femme à gloire historique, n’est-ce pas une profanation que de les commettre ainsi après coup dans des intrigues improvisées ? Pas d’hypocrisie ; parlons franc. En tout genre, les personnages célèbres morts ne sont-ils pas des marionnettes aux mains des vivans ? Cet orateur exalte Bonaparte dont il a besoin aujourd’hui dans sa péroraison, ce critique vante fort le poète défunt dont il se prévaut pour son système. Le moraliste inexorable l’a dit : « Nos actions sont comme les bouts-rimés, que chacun fait rapporter à ce qu’il lui plaît. » Et ce ne sont pas nos actions seulement qui sont ainsi, ce sont nos noms, quand on a le malheur d’en laisser un.

La donnée de la pièce est toute voltairienne, comme le répétait derrière moi un voisin chez qui ce mot n’était pas sans injure. Le chapitre des grands effets provenant de petites causes reparaît chez Voltaire à chaque page et brodé de toutes les variations. Dans Sémiramis même, par la bouche d’Assur il a dit :

Ce que n’ont pu mes soins et nos communs forfaits,
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