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rateurs et de ses successeurs très dignes, M. Bayard, M. Mélesville, il revint à la charge vers le Théâtre-Français, et s’attaqua hardiment au vice politique, ce nouveau ridicule tout récemment démasqué. Il ouvrit la brèche dans Bertrand et Raton (novembre 1833), et récidiva avec plus ou moins de bonheur dans les quatre ou cinq pièces suivantes, et en particulier dans les Indépendans, dans la Calomnie, et l’autre soir en tout éclat dans le Verre d’eau. Sous la restauration, à le juger par ses œuvres, M. Scribe n’avait guère de passion politique, et son couplet libéral très léger, ses guerriers et ses lauriers, n’étaient çà et là que l’indispensable pour panacher ses pièces. Mais ici, à l’insistance, à la vivacité de son attaque, on sent une sorte d’inspiration morale, une conviction qui n’est peut-être autre que le mépris très cordial de ceux qu’il met en jeu.

La physionomie des principales pièces de lui, données aux Français, différe notablement de l’air de ses pièces du Gymnase. La grace recouvrait celles-ci ; la corruption mignonne de l’espèce y était corrigée par des teintes de sentiment, et y devenait tout avenante :

Les vices délicats se nommaient des plaisirs.

En portant décidément sur un plus grand théâtre sa manière ingénieuse et si long-temps rapetissante, M. Scribe en a changé moins le principe que l’application et les proportions ; il était difficile qu’il en advînt autrement ; même en se renouvelant, on se continue toujours. Au lieu de rapetisser de moyennes et gracieuses parties, il en rapetisse hardiment de plus grandes. Philosophiquement, a-t-il tort ? il aurait encore raison dramatiquement. Dans les proportions où son paradoxe s’est produit sur ces sujets plus graves, il a touché mainte fois à l’odieux, et, à force d’art, il a su l’esquiver. En montrant de fort vilaines choses, il ne révolte pas, comme n’ont jamais manqué de faire nos amis les romantiques ; il donne le change en amusant. Mais plusieurs de nos remarques trouveront mieux place à propos du Verre d’eau, dont il est temps de dire quelque chose.

Et d’abord, pourquoi le Verre d’eau ? M. Scribe a observé que les titres directs, les caractères affichés aux pièces tels que l’Ambitieux, les Indépendans, sont une difficulté de plus aujourd’hui, une sorte de programme proposé d’avance au public impatient qui le conçoit à sa manière, et trouve volontiers que l’auteur ne le remplit pas à souhait. La Calomnie aurait peut-être été mieux jugée s’il l’avait intitulé les Échos ; il a donc pris son titre de biais, comme il prend la comédie elle-même.