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SCHILLER.

aurait été soumise au jugement de Dalberg, et que l’auteur y aurait fait quelques corrections. Sur ces entrefaites arrive Mme Meier, qui avait assisté aux fêtes de Stuttgardt, qui raconte que la fuite de Schiller a fait beaucoup de bruit, et qui l’engage à se cacher. Les deux amis prennent la résolution de s’éloigner de Mannheim, où il était trop facile de les atteindre, et de se retirer à Francfort. Ils partent à pied, car ils n’avaient plus qu’une très petite somme d’argent. Ils s’en vont par des chemins détournés, Schiller poursuivant toujours ses rêves de poète, tantôt saisi d’un abattement profond, tantôt enthousiasmé par quelques vers, et le fidèle Streicher le suivant, le guidant, le soutenant comme un enfant malade.

À Francfort, Schiller écrit une lettre à Dalberg ; il lui exprime, dans des termes touchans, sa douloureuse position, l’anxiété qui le poursuit, la misère qui le menace. Il le prie de lui donner une faible somme à compte sur les représentations de Fiesque. Après quelques jours d’attente, de perplexité, il retourne à la poste, et n’y trouve rien ; il y retourne encore, et reçoit un paquet à son adresse, revient chez lui, l’ouvre d’une main tremblante, et n’y trouve rien, rien que de vains encouragemens de Meier et une froide lettre de celui qu’il regardait comme un protecteur, et qui n’était qu’un plat courtisan, avare et égoïste.

La position du poète à Francfort n’était plus soutenable. En mesurant avec la plus stricte parcimonie ce qui lui restait d’argent, il n’avait pas de quoi vivre plus de huit jours. Heureusement, Streicher reçut de sa mère trente florins qu’il avait demandés pour se rendre à Hambourg, et, au lieu de faire ce voyage, il voulut partager son modique trésor avec son ami. Par mesure d’économie, tous deux se décidèrent à retourner aux environs de Mannheim, où la vie était moins chère qu’à Francfort. Meier leur loua un petit logement à Oggersheim ; ce fut là que Schiller corrigea Fiesque et commença à écrire l’Amour et l’Intrigue. Il y vivait fort isolé, et prenait de plus en plus l’habitude de travailler pendant la nuit, habitude dont il abusa plus tard, et qui ne contribua pas peu à altérer ses forces et à détruire sa santé.

Au mois de novembre, il présenta à Dalberg Fiesque dans sa nouvelle forme, et attendit avec impatience la décision qui devait être prise à l’égard de cette pièce ; mais le lâche baron, qui craignait de se compromettre en donnant une marque d’intérêt au pauvre fugitif, ne se pressait pas de lui répondre. Après des instances réitérées, Schiller obtint enfin une solution, hélas ! et elle trompait toutes ses espérances. Iffland avait en vain demandé que Fiesque fût reçu au