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REVUE DES DEUX MONDES.

Ou encore :

Que j’suis heureux ! c’ruban teint de mon sang
Va me servir pour acheter les vôtres[1].

On a relevé et souligné à la lecture quelques incorrections de dialogue qui échappent en causant. J’y relèverais plutôt bien des plaisanteries un peu banales, des bons mots tout faits et déjà entendus sur les députés, les grandes dames, les maris, les amoureux, les banquiers. Ce serait commun dans un salon ; à la scène, cela va et réussit toujours. L’auteur ne dédaigne aucun de ces traits qui courent ; il les ravive par l’emploi. Ce sont de petites pierres fausses dont, à part, on ne donnerait pas un denier, mais ici bien montées et qui font jeu. Et d’ailleurs il y en a d’autres à côté de meilleur aloi, naturelles, appropriées ; car, chez M. Scribe, la récidive est perpétuelle. Tout cela se suit, s’enchâsse, tout cela brille et remue à merveille, diamans ou verroteries, mais bien portés par une femme vive et mouvante : on y est pris. Chez Marivaux, à qui on l’a comparé, le mot courant est, je crois, beaucoup plus perlé et plus constamment neuf. La diction se soigne toujours : Marivaux a écrit Marianne.

La vraie nouveauté dramatique de M. Scribe me paraît consister dans la combinaison et l’agencement des scènes ; là est sa forme originale, le ressort vraiment distingué de son succès ; là il a mis de l’art, de l’étude, une habileté singulière, et son invention porte surtout là-dessus. Il a su nouer avec trois ou quatre personnages des comédies qui ne languissent pas un seul instant[2].

Dans sa longue et prodigieuse pratique, dans son association passagère et ses mariages d’esprit avec tant d’auteurs, il est arrivé à connaître à fond le tempérament dramatique et le faible d’un chacun. Il excelle à décomposer le ressort principal, la situation qui, plus ou moins déguisée, revient presque toujours dans chaque talent. Chez tel auteur comique (notez bien), c’est dans chaque pièce un personnage inconnu, mystérieux, qui revient et qui donne lieu à toute une variété d’incidens ; chez tel autre, c’est une épreuve, un semblant auquel on soumet un personnage ; pour le guérir d’un défaut, par exemple, on feindra de l’avoir[3]. M. Scribe, comme tous, a sa forme

  1. Mariage de raison, acte II, scène V.
  2. On a essayé d’indiquer quelque chose de ce mécanisme intérieur à propos de La Calomnie, où il est surtout apparent. (Revue des Deux Mondes du 1er mars 1840, page 734.)
  3. Vérifier ce cas, si l’on veut, sur les pièces de M. Étienne, et le cas précédent sur les pièces de M. Alexandre Duval.