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sans couplets, sans collaborateurs, se soutenant par le nœud dramatique, l’unité des caractères, la vérité du dialogue et la vivacité de la leçon. » Or, malgré tous ces mérites proclamés en pleine Académie, la pièce d’abord échoua. Esprit de vaudevilliste, disait-on dans la salle dès les premières scènes ; il faut que chacun reste dans son cadre. Pindarum quisquis studet œmulari, murmurait tout haut le plus vieil habitué de l’orchestre. M. Scribe avait là contre lui ce qu’il y a contre tout homme de talent au moment où il change de lieu et de genre ; on commence par lui dire non. Vers le même temps, il est vrai, la pièce, jouée en province, à Metz, à Bordeaux, devant un public moins en garde, réussissait entièrement. Mais ce ne fut que quelques années après qu’à Paris elle eut sa pleine revanche.

Repoussé de la haute scène, mais sans perte, M. Scribe redouble de verve et de bonheur au Gymnase ; dans Malvina ou le Mariage d’inclination, dans Avant, Pendant et Après, il parut même agrandir ses dimensions, et vouloir prouver qu’il donnait à son tour carrière à ses tableaux. Que lui importait, après tout, le lieu ? Il y gagnait, dans son exception même, de paraître avec plus d’originalité, d’être un phénomène dramatique plus scintillant. La comédie contemporaine n’est plus chez vous, pouvait-il dire au Théâtre-Français, elle est toute où je suis, dans l’Héritière, dans la Demoiselle à marier, dans cette foule de pièces chaque soir écloses, que chacun nomme et que je ne compte plus. Les Trois Quartiers, votre plus vive nouveauté comique, ne rentrent-ils pas dans ce goût-là ? Voilà ce qu’aurait pu dire ou penser M. Scribe ; mais je doute qu’il soit assez glorieux pour l’avoir pris alors de ce ton. Ouvrier actif, infatigable, il continua, tout en remplissant comme par parenthèse nos deux scènes lyriques, de parfaire et de compléter son monde du Gymnase, que je voudrais bien caractériser.

La nature humaine prise du boulevard Bonne-Nouvelle n’est peut-être pas très large, très profonde, très généreuse en pathétique ou en ridicule ; mais elle est très fine, très variée et très jolie. Je la maintiens même fort ressemblante à titre de nature parisienne, dût M. Scribe nous soutenir, comme il l’a fait dans son discours d’Académie, que la comédie, pour réussir, n’a pas besoin de ressembler. Sans doute, dans le monde réel, il n’y a pas tant de millions ni tant de beaux colonels que cela ; mais cette comédie est l’idéal pas trop invraisemblable, le roman à hauteur d’appui de toute notre vie de balcon, d’entresol, de comptoir ; toute la classe moyenne et assez distinguée de la société ne rêve rien de mieux. Nul aussi bien que