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monarchie. Ces hommes se souvenaient des cruelles dissensions qui, du temps de la république, avaient si souvent désolé la Hollande, ils craignaient de les voir éclater de nouveau, ils craignaient les réactions de l’oligarchie, et un pouvoir ferme, unique, non divisé, leur semblait être la plus sûre barrière contre les ambitions déréglées et les périls de l’anarchie. C’est ainsi qu’en 1660, le peuple de Copenhague, las du conseil oligarchique qui prétendait faire un heureux contrepoids au pouvoir de la monarchie, renversa cette magistrature mensongère, et remit entre les mains du roi l’autorité absolue.

Quand la proclamation monarchique fut publiée, plus d’une voix s’éleva contre ce manifeste inattendu. La ville d’Utrecht le repoussa assez ouvertement, et les hommes du port d’Amsterdam, malgré leur dévouement héréditaire à la maison d’Orange, firent entendre de sourds murmures. Ils chantaient ordinairement un chant populaire qui se terminait ainsi :

Al is onz prinsje nog zoo klein
Al evenvel zal hy stadhouder zyn
.

« Quoique notre petit prince soit encore si petit, il sera pourtant notre stathouder. »

Ils ajoutèrent alors un vers à ce refrain, et s’en allèrent répétant le long des quais :

Dock hoeft geen souverein te zyn.

« Mais il ne doit pas être souverain. »

On dit que Guillaume refusa d’abord sincèrement d’accepter la dignité qui lui était offerte, et demanda à être tout simplement stathouder comme ses ancêtres[1]. Mais les instances de ses conseillers surmontèrent ses scrupules, et l’enthousiasme général de la population pour lui étouffa bien vite les germes de dissidence que le manifeste royaliste avait fait éclater çà et là. Cependant, en cédant au vœu de ses principaux partisans, Guillaume annonça qu’en acceptant la souveraineté, il donnerait à ses sujets une constitution qui garantirait la liberté individuelle contre tout acte arbitraire. Le 2 décembre, il fut proclamé roi, et il organisa aussitôt une commission composée de quatorze membres, et chargée de rédiger une charte constitu-

  1. C’est un témoignage que plusieurs écrivains, notamment Bosscha, Van Kampen et l’auteur anonyme des Vertraute Briefe, s’accordent à lui rendre.