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UNE VISITE AU ROI GUILLAUME.

d’Orange. Ses fils parurent en public avec la cocarde nationale, et l’ancien cri populaire Oranje boven retentit dans les rues d’Amsterdam. Un officier fut expédié au quartier du général Bulow, pour le prier de venir au secours de la Hollande ; un autre alla presser les Russes d’accélérer leur marche. Les deux corps d’alliés s’avancèrent vers l’intérieur du pays. Bulow traversa l’Yssel, s’empara de Zutphen, d’Arnhem, et les Russes vinrent camper aux portes d’Amsterdam. Molitor sentait qu’il ne pouvait résister à la fois à ces deux armées étrangères et à l’insurrection nationale ; il commençait à se retirer, mais il se retirait en homme habile, resserrant ses troupes, faisant bonne contenance, et ne se laissant rien prendre par l’ennemi. Sa retraite avait commencé le 15 novembre, et malgré l’effort des Russes, des Prussiens, des Hollandais et des Anglais, elle dura plus d’un mois.

Cependant M. de Fagel était allé chercher en Angleterre le prince d’Orange. Le 30 novembre 1813, tandis qu’une grande partie de son pays était encore occupée par les troupes françaises, le prince aborda sur la plage de Scheveningen, sur cette même plage où dix-huit ans auparavant il s’était embarqué avec son père, déshérité, banni, allant chercher un refuge sur la terre étrangère. Les pêcheurs de Scheveningen le prirent sur leurs bras et le portèrent avec des acclamations de joie jusque dans leur village. Le peuple accourut en foule au-devant de lui ; partout la cocarde de ses pères brillait à ses yeux, partout les cris de vive Orange ! vive Guillaume ! retentissaient à ses oreilles. Il fit le chemin de La Haye à Amsterdam au milieu d’une population avide de le voir, de le saluer. Jamais la grave Hollande ne s’était si fort déridée et n’avait fait éclater tant de joyeux transports. Une autre marque d’enthousiasme et de confiance bien plus décisive encore l’attendait dans sa capitale. Son arrivée avait été annoncée dans le pays par une proclamation qui se terminait ainsi : « La Hollande est libre, et Guillaume Ier est son souverain. » Ces deux derniers mots ensevelissaient tout simplement sous le sceau de la légalité l’ancienne forme de gouvernement. Le prince comptait venir reprendre la succession des stathouders, et au lieu d’être le président d’une république, il allait se voir investi de l’autorité royale ; au lieu de continuer la série de ses aïeux, il devait prendre le titre de Guillaume Ier et commencer une nouvelle dynastie.

Ce qu’il y a de remarquable dans ce fait, c’est que c’étaient les républicains eux-mêmes, les hommes attachés, il est vrai, à la maison d’Orange, mais partisans zélés des institutions démocratiques, qui abolissaient ainsi le gouvernement de leurs pères, et fondaient une