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UNE VISITE AU ROI GUILLAUME.

commerce de ses sujets, furent raffermies. Le fisc étendit le cercle de ses attributions. Ce qui échappait à l’impôt direct tombait dans le domaine des droits réunis. Les mesures de rigueur frappaient surtout ceux qui étaient appelés à prendre les armes. Il n’y avait point de pitié pour les réfractaires, point de pitié pour les malheureux qui essayaient d’échapper à la loi de recrutement à l’aide d’un certificat constatant une infirmité. Un haut fonctionnaire de Namur faisait verser de la cire bouillante sur les pieds de ceux qui se disaient sujets à des attaques d’épilepsie, et arracha un jour de son lit un jeune conscrit qui rendit le dernier soupir devant lui[1]. Une police soupçonneuse, inquisitoriale, surveillait tous les individus, pénétrait dans l’intérieur des familles, et donnait à toutes les démarches une interprétation. Il n’était pas permis aux Hollandais d’entreprendre dans leur pays la plus petite excursion sans être munis d’un passeport, et l’usage même de leur langue nationale pouvait devenir en certains cas une cause de suspicion. Tous les principaux fonctionnaires parlaient français et voulaient introduire la langue française dans les actes publics comme dans la vie privée. Hâtons-nous de dire que les deux hommes qui, dans ce temps d’oppression, se signalèrent entre tous les autres par la cruauté de leur conduite, les deux seuls dont l’histoire de Hollande ait inscrit le nom sur son pilori, n’étaient pas Français, mais Belges.

Tout à coup, au milieu de cette servitude profonde sous laquelle était courbée la terre natale d’Oldenbarnveld, de Ruyter et de Jean de Witt, la nouvelle de la bataille de Leipzig retentit dans le monde entier. L’Allemagne pousse un cri de joie, la Hollande relève sa tête humiliée et porte vers l’avenir un regard d’espoir. Il y avait alors dans ce pays un homme de la vieille race batave, un homme au cœur ferme et patient, qui, dans les heures de la plus grande calamité, n’avait jamais désespéré un instant du salut de sa patrie. Pendant les diverses révolutions qui avaient tour à tour agité la Hollande, Charles de Hogendorp n’avait fait aucun mouvement. L’influence de son nom, de sa fortune, de ses talens déjà reconnus, pouvait facilement le conduire à de hauts emplois ; mais il ne voulait accepter ni faveur, ni fonctions, d’un gouvernement qu’il réprouvait. Retiré à l’écart, livré tout entier à ses austères souvenirs de républicain, il méditait les moyens de faire sortir de ses ruines l’ordre de choses qu’il regrettait. Il suivait d’un œil clairvoyant la marche des évène-

  1. Van Kampen, Geschiedeniss van Nederland, tome II.