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SCHILLER.

avons jamais lues ; mais les critiques allemands s’accordent à les représenter comme des compositions de fort peu de valeur, et l’auteur lui-même les a condamnées, en les retranchant de ses œuvres complètes.

Le 13 janvier de la même année, on lisait au coin des rues de Mannheim une affiche portant en gros caractères : Les Brigands, drame en cinq actes, arrangé pour la scène par M. Schiller. Dalberg avait fait joindre à cette annonce une longue explication, dans le genre de celle que les acteurs des mystères prononçaient jadis sur la scène pour faire comprendre au public la marche des évènemens et la moralité de la pièce. La représentation de ce drame, annoncée depuis long-temps, avait attiré à Mannheim un nombreux concours de spectateurs. De Heidelberg, de Francfort, de Mayence, de toutes les villes voisines, les curieux arrivèrent à pied, à cheval, en voiture. Dès le matin, les avenues du théâtre étaient occupées par la foule. La représentation devait commencer à cinq heures et finir à dix.

Schiller avait demandé la permission de venir à Mannheim, mais elle lui fut refusée, et on lui dit même assez sèchement qu’il eût à s’occuper davantage de ses devoirs de médecin, s’il ne voulait attirer sur lui des mesures de rigueur. Cette menace ne pouvait l’effrayer dans une circonstance aussi importante : il partit en secret, assista à la représentation de son drame, qui fut fort bien joué, entendit les applaudissemens de la foule et s’en revint enivré de son succès.

L’impression produite par sa pièce se propageait de ville en ville ; de toutes parts, son nom était répété par la foule, son œuvre était le sujet de tous les entretiens. Bientôt l’Allemagne fut inondée d’une quantité de drames dont les héros étaient d’aimables voleurs de grands chemins, et l’on découvrit à Leipzig une association de jeunes gens qui avaient formé le projet de se retirer dans les forêts de la Bohême, pour y exercer le noble métier de brigands. En même temps Schiller vit arriver chez lui cette nuée d’oisifs et de curieux qui courent de ville en ville à la recherche d’une distraction, et pensent ennoblir leur désœuvrement en contemplant une célébrité. Chaque jour, il recevait une nouvelle visite : tantôt c’était un élégant touriste qui voulait retracer dans les salons la figure, les manières, le costume du jeune poète ; tantôt c’était une femme sentimentale qui criait à l’injustice, à la cruauté du sort, en voyant la pauvre chambre et le misérable mobilier de celui qui savait si bien faire couler de douces larmes.

Si ces hommages stériles flattaient la vanité de Schiller, il devait