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DE L’HUMANITÉ.

pas la solidarité fraternelle, et quand Dieu le condamne à vivre misérable, il lui donne une leçon d’économie politique. Caïn poursuit son œuvre, l’établissement de la propriété et de l’inégalité parmi les hommes. Mais le dernier né d’Ève, Seth, vient représenter un retour vers le bien. Seth est l’homme de la connaissance et de la justice. Il y a donc en présence deux races, la race de Caïn et la race de Seth. Ces deux races, après avoir marché isolément, se sont mêlées ; c’est l’attrait de la volupté qui les a réunies, mais il n’est résulté de ce mélange que plus de corruption. Le déluge coïncide avec cette perdition morale du genre humain. Une petite fraction de l’humanité est sauvée ; cette fois elle ne s’appelle plus Adam, elle s’appelle Noé, et les trois races nouvelles se nomment Sem, Cham et Japhet.

Maintenant voici l’explication métaphysique élevée à sa plus haute formule. Dans la triade d’Adam et dans la triade de Noé, le type humain est considéré sous ses trois divisions fondamentales, sensation, sentiment, connaissance ; la sensation a pour représentans Caïn et Cham ; le sentiment, Abel et Japhet ; la connaissance, Seth et Sem. En d’autres termes, ces trois types sont l’industriel, l’artiste et le savant, de façon que la véritable gloire de Moïse, auteur du Berœshith, est d’avoir été le précurseur de Saint-Simon.

Traiter ainsi l’histoire, c’est l’abolir. En vain vous déclarez reconnaître dans la tradition quelques vérités élémentaires du genre humain, si l’interprétation fantastique que vous en faites est en désaccord avec tout ce qu’en ont pensé jusqu’à présent les autres hommes. M. Leroux a-t-il pu raisonnablement concevoir l’espérance qu’on adoptât son commentaire de la Genèse ? Ses imaginations seront pour les orthodoxes un sujet de scandale. Les hommes versés dans la science du mysticisme et de la cabale[1] trouveront ses conceptions superficielles et empreintes de matérialisme. Enfin les critiques de l’école rationnelle feront une sévère justice de tant d’hypothèses aventureuses. Que reste-t-il aujourd’hui des idées émises dans le dernier siècle par Boulanger sur l’origine des religions et des sociétés ? On en cherche en vain l’influence et la trace. L’histoire ne peut être féconde pour l’instruction du genre humain, que lorsqu’elle est traitée avec ce bon sens mâle et simple qui sait à la fois s’élever aux vérités les plus hautes, et se communiquer à toutes les intelligences. C’est sans doute un utile travail que de dégager de l’enveloppe des traditions l’élément humain dont la vérité est éternelle ; mais la pre-

  1. Voyez l’ouvrage allemand de Molitor, sur la Philosophie de la Tradition.