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grands hommes. Moïse est, aux yeux de M. Leroux, un profond philosophe, parce qu’il a déposé dans la Genèse la doctrine de la vie. Mais, avant d’aller plus loin, constatons à quelles influences a cédé M. Leroux dans sa nouvelle interprétation de la Bible.

Tous ceux qui se plaisent aux études de haute métaphysique et de théosophie, connaissent les productions de Fabre d’Olivet. Cet écrivain a composé un ouvrage considérable intitulé la Langue hébraïque restituée, dans lequel il traduit d’une manière tout-à-fait nouvelle les dix premiers chapitres de la Genèse. Il a donné aussi un commentaire des Vers dorés de Pythagore, où il cherche à établir que les idées philosophiques qu’on y trouve avaient été les mêmes dans tous les temps et chez tous les hommes capables de les concevoir. Enfin, il a composé un livre qui rappelle le titre et l’objet de l’ouvrage de M. Leroux, car il est intitulé : Histoire philosophique du Genre humain ; livre où il a entrepris de faire connaître quels sont, selon lui, les véritables principes de la sociabilité. M. Leroux a emprunté à Fabre d’Olivet l’idée que la Genèse de Moïse n’est qu’une expression symbolique, et ne doit pas être prise dans un sens purement littéral. Il admire la profondeur et la suite des pensées que Fabre d’Olivet découvre dans le texte, il pense avec lui qu’Adam dans Moïse veut dire l’humanité ; il adhère entièrement aux opinions de Fabre d’Olivet, quand ce dernier dit : « Ce livre est un des livres géniques des Égyptiens, sorti, quant à sa première portion, appelée Berœshith, du fond des temples de Memphis et de Thèbes. » Comme Fabre d’Olivet, M. Leroux pense encore que les mots tu mourras, adressés par Dieu à Adam, veulent dire : tu passeras à un autre état. Quant à la nature de Dieu, il adopte la traduction de l’auteur de la Langue hébraïque restituée, et il appelle Dieu lui les dieux, c’est-à-dire l’unité et la multiplicité. Nous renvoyons M. Leroux à tous les débats scientifiques dont furent l’objet, de la part des hébraïsans, les opinions de Fabre d’Olivet, puisqu’il s’en est emparé, et nous passons à une autre interprétation de la Bible, qui rappelle une des manières de voir du saint-simonisme.

Caïn tue son frère Abel. Qu’est-ce que Caïn ? C’est l’homme de la tentation, l’homme du plein, l’homme de l’activité physique ; il s’empare de la terre, c’est le propriétaire. Et qu’est-ce qu’Abel ? C’est l’homme du vide, l’homme de désir, l’homme de sentiment ; il mène une vie nomade, il erre à la façon des bergers. Caïn tue son frère pour ne pas partager la terre avec lui ; c’est un égoïste, mais son égoïsme a pour lui des suites fâcheuses ; il s’est appauvri en ne reconnaissant