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DE L’HUMANITÉ.

que la science dessèche le cœur ; elle le règle et l’épure. Elle seule peut empêcher les sympathies qu’on éprouve naturellement pour les misères humaines de dégénérer en colères aveugles, en réactions furieuses. Voilà un point essentiel tout-à-fait digne de l’attention d’un penseur.

Après avoir posé comme élémens de la formule psychologique la sensation, le sentiment, la connaissance, M. Leroux établit trois autres termes qui, suivant lui, correspondent aux premiers. « La trinité de l’ame humaine, dit M. Leroux, en prédominance de sensation, donne lieu à la propriété ; en prédominance de sentiment, à la famille ; en prédominance de connaissance, à la cité ou l’état. » Cette donnée nous semble inadmissible. Nous croyons, au contraire, que tous les principes de l’humanité ont commencé à se développer dans un même point du temps, et que depuis ce moment cette simultanéité n’a jamais été brisée. Sans doute dans le développement il y a inégalité ; mais la prédominance d’une faculté n’est pas telle qu’elle absorbe toutes les autres. Si l’on prend la première forme de l’existence sociale, la vie chasseresse, comment se figurer le partage de la proie commune, sans que les idées constitutives du droit apparaissent ? Le chasseur grossier n’a-t-il pas aussi des notions religieuses ? N’adore-t-il pas des divinités en harmonie avec ses instincts ? La division parallèle que veut établir M. Leroux n’est ni juste ni féconde.

Toutefois l’erreur de ce point de vue n’empêche pas M. Leroux de reconnaître la famille, la patrie et la propriété comme des choses excellentes en elles-mêmes et nécessaires ; ce sont ses expressions. Seulement il pense que la famille, la patrie, la propriété, ont été jusqu’à présent mal organisées. Et pourquoi ? Parce qu’elles ne sont pas organisées en vue du genre humain et de la communion du genre humain. Tout le mal du genre humain vient des castes. Aussitôt que dans votre idéal de société et de politique vous faites entrer le genre humain tout entier, le mal cesse et disparaît de cet idéal. Si tout le mal vient des castes, M. Leroux doit être rassuré sur le sort de la plus grande partie du monde civilisé, car les castes n’existent plus que dans l’Inde et dans la Chine. Cette forme de la sociabilité a fléchi partout ailleurs sous l’action du temps et de la liberté humaine. Mais M. Leroux voit encore la caste partout où il n’aperçoit pas la loi du genre humain pratiquée telle qu’il la conçoit. Or, voici cette loi : Aimez Dieu en vous et dans les autres. Le christianisme, suivant M. Leroux, avait le tort d’abandonner le moi et la liberté humaine, et d’exiger que l’être fini n’aimât que l’être infini. De cette façon,