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la conception de ses idées, et qu’aussi il a importé dans l’interprétation du passé des préoccupations systématiques. Il y a eu trop d’histoire dans ses spéculations philosophiques, et trop de système dans sa manière de comprendre le passé. Le morceau qui sert d’introduction à M. Leroux, et qui, publié pour la première fois il y a plusieurs années, traite du bonheur, présente des qualités critiques qu’on cherche malheureusement en vain dans le reste de l’ouvrage. Ce fragment expose les principales solutions des écoles philosophiques et religieuses sur le bonheur ; la rédaction en est claire, et les appréciations judicieuses. Mais, depuis le temps où il a écrit ce morceau, l’ambition de M. Leroux a grandi, il ne lui suffit plus de raconter et d’observer, il dogmatise, il révèle. Le moment est venu d’aborder le fond de sa doctrine.

L’homme est, de sa nature et par essence, sensation, sentiment, connaissance, indivisiblement unis. Voilà la définition psychologique de l’homme. Cette définition rappelle à la fois celle de l’éclectisme, sensation, volonté, raison, et la trinité du saint-simonisme, industrie, science, religion. La terminologie de M. Leroux ne nous paraît pas heureuse. Sentiment et connaissance sont des expressions bien incomplètes, si on les compare aux mots volonté et raison. Le mot connaissance surtout a quelque chose de secondaire et de restreint qui le rend tout-à-fait impropre à représenter la sphère intellectuelle de l’homme. Il est complètement inexact de dire que pour Platon l’homme est surtout connaissance : c’est contredire ouvertement la portée et le vocabulaire de la philosophie platonicienne. Nous avons été surpris de ne trouver dans l’ouvrage de M. Leroux aucune discussion sur les rapports du sentiment et de la raison. C’est cependant pour notre époque une question capitale. Quand le christianisme parut, il prit pour loi l’amour et non pas la pensée, et il dit : Bienheureux les pauvres d’esprit, le royaume des cieux est à eux. Le mot était profond ; c’était dire : N’étudiez pas Platon, Cicéron, les stoïques, les épicuriens, mais croyez et vivez comme un croyant ; alors à vous le royaume des cieux. La charité, l’amour, étaient les élémens prédominans ; la passion avait le pas sur l’idée. Aujourd’hui il ne s’agit pas de prononcer un divorce entre le sentiment et l’intelligence, mais il faut établir entre ces deux puissances de l’homme un rapport normal. L’intelligence ne doit pas étouffer le sentiment, mais le diriger et l’éclairer. Ce sont les excès du sentiment que ne contient pas le frein de la raison, qui produisent les enthousiasmes faux, les prédications insensées, les mouvemens démagogiques. Il n’est pas vrai