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DE L’HUMANITÉ.

casion d’ajouter quelque chose : Nec ulli nato post mille sæcula prœcludetur occasio aliquid adjiciendi. » L’idée de la perfectibilité se trouve ainsi exprimée avec une remarquable énergie. Continuons. Sénèque, après avoir affirmé que le progrès de l’humanité dans la conception des idées est infini, passe à l’application même et s’exprime ainsi : « Mais, quand même les anciens auraient tout découvert, il y aura toujours une étude nouvelle ; c’est l’application, la connaissance et l’arrangement de ces découvertes ; » Et plus loin il ajoute : « Les remèdes de l’ame ont été découverts par les anciens ; c’est à nous de chercher comment et quand il faut les appliquer[1]. » Il est donc avéré que pendant les premières prédications du christianisme il y avait un penseur vaste et profond, qui, par la voie de la sagesse antique, avait abouti au sentiment d’une humanité solidaire, perfectible et progressive. Nous conseillerons toujours d’apporter beaucoup de prudence dans les assertions qu’on serait tenté de se permettre sur l’ignorance prétendue des anciens.

Sur ce point, M. Leroux doit être d’autant plus de notre avis qu’il est loin de dédaigner l’antiquité. Tout au contraire, il est enclin à voir dans les traditions antiques la reproduction exacte et complète des idées qu’il affectionne le plus. Dans Virgile, dans Platon, dans Pythagore, dans Apollonius de Tyane, dans Moïse, dans Jésus-christ, il croit retrouver les théories qu’il professe, et, à coup sûr, il ne méprise pas ces grands hommes, qui ont le mérite à ses yeux d’avoir ses opinions. Il y eut un empereur romain, Alexandre-Sévère, qui avait réuni autour de lui les images des sages illustres qu’il honorait comme des dieux ; dans ce singulier oratoire, Apollonius de Tyane figurait à côté du Christ, et Abraham servait de pendant à Orphée[2]. L’ouvrage de M. Leroux ressemble un peu à la chapelle d’Alexandre-Sévère ; on y voit associés les hommes et les élémens les plus disparates ; on y reconnaît la tentative d’élever une religion avec des images et des débris des cultes les plus divers.

Nous nous sommes demandé si M. Leroux n’avait pas composé ce qu’il appelle son système avec des emprunts faits confusément à l’histoire. L’auteur affirme le contraire ; il proteste que ce n’est qu’après avoir trouvé la vérité par ses propres inductions qu’il s’est aperçu du rapport qu’elle a avec l’antique théologie. Il nous semble que M. Leroux a souvent été poursuivi par des réminiscences historiques dans

  1. L. Annæi Senecæ, epist. 64.
  2. Voyez Lampridius.