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de son génie, et ce disciple à moitié réfractaire a pris place au premier rang des maîtres.

L’auteur du livre que nous allons examiner n’a pas négligé les travaux préparatoires ; il a publié plusieurs fragmens philosophiques qui dénotent de l’étendue dans l’esprit et de la patience dans les recherches ; il a coopéré avec distinction à la rédaction de l’Encyclopédie nouvelle, dont la pensée était judicieuse et utile. C’était en effet chose avantageuse à la science que de marquer la transition entre les siècles précédens et le nôtre, par un recueil philosophique qui, sous la forme alphabétique d’un dictionnaire, résumât toutes les questions. Cette enquête servait à liquider le passé et à préparer l’avenir. Ceux qui la dressaient, loin d’être obligés de dogmatiser d’une manière aventureuse, ne pouvaient même s’acquitter de leur tâche qu’en s’abstenant avec soin de toute affirmation téméraire. Récapituler les résultats acquis, indiquer les tendances nouvelles, tel était naturellement leur but. Ils avaient à faire du passé une large critique qui permît aux esprits de se tourner vers l’avenir avec sécurité.

Dans l’accomplissement de cette œuvre, il y avait assez d’honneur pour qu’on pût consentir à s’y consacrer long-temps. Toutefois M. Pierre Leroux n’a pas tardé à s’y trouver à l’étroit. Les articles qu’il rédigeait devenaient sous sa plume des morceaux plutôt dogmatiques que critiques, où les inspirations personnelles prenaient plus de place que les résultats positifs, et cependant ces articles ne suffisaient pas à l’ambition de leur auteur, tout en excédant les limites raisonnables d’un dictionnaire. Aussi M. Pierre Leroux a pris le parti de publier sous sa seule responsabilité un livre qui le fît connaître d’un coup comme un philosophe dogmatique aspirant à fonder une école.

L’Humanité, tel est l’objet et le titre du livre de M. Leroux. L’auteur annonce qu’il exposera le principe et l’avenir de l’humanité, qu’il donnera la vraie définition de la religion, et qu’il expliquera le sens, la suite et l’enchaînement tant du mosaïsme que du christianisme. Dans le Faust de Gœthe, un écolier répond à Méphistophélès, qui lui demande quelle spécialité il a choisie : « Je voudrais embrasser tout ce qui est sur la terre et dans le ciel, la science et la nature. — Vous êtes là dans une excellente direction », lui répond son interlocuteur.

M. Leroux, en annonçant sur la couverture de son livre qu’il traitera de l’humanité, ne tombe-t-il pas un peu dans le même inconvénient que ce poète qui avait intitulé son poème : L’Univers ? C’est