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§ VI. — D’UNE ALLIANCE AVEC LE MAROC. — ÉTAT MORAL ET ESPRIT PUBLIC DE LA POPULATION.

Les races qui habitent l’empire de Maroc n’ont rien d’homogène, nous l’avons déjà prouvé. Une vieille inimitié sépare les deux royaumes de Fez et de Maroc, réunis, mais non confondus. Les accidens de localité, qui rendent cette inimitié insurmontable, peuvent, au premier coup de main, élever une barrière entre les deux parties de l’empire, suspendre toutes les communications administratives et commerciales entre l’une et l’autre, et provoquer un démembrement.

La population de l’Afrique septentrionale, renouvelée souvent, constamment agitée par des fleuves humains venus de tous les côtés de l’Asie, de l’Afrique et de l’Europe, s’est formée de plusieurs grandes immigrations que l’on peut réduire à deux courans principaux. Leur mouvement date de la fin du VIIIe siècle ; dans le XIe, ils ont acquis une extrême activité. L’un de ces deux courans, tombant de l’Égypte, suivant la route des pèlerins de la Mecque, Tripoli, Tunis et Constantine, pénètre au nord dans le Maroc par Tlemecen et le royaume de Fez. Il s’arrête au Sébou. L’autre courant, venu de l’Arabie, traverse le désert, Tafilet, Taroudant et Souz, et, parvenu au royaume de Maroc proprement dit, s’arrête sur l’une et l’autre rive de la Morbeya. Ces deux énormes vagues roulent ainsi à droite et à gauche, tournant le grand écueil de l’Atlas, pour finir par se rejoindre et s’entrechoquer au-delà.

La population du Maroc se partage donc en deux groupes bien distincts, séparés de dialecte, de mœurs et de caractère ; la taille, le teint, la physionomie diffèrent. Dans le premier groupe, les tribus agricoles dominent ; dans le second, les pasteurs, plus sédentaires, plus faciles à gouverner, moins belliqueux, plus civilisés, race moins sauvage, qui a recueilli les débris de l’Espagne mahométane, et qui, méprisée comme lâche par les peuples du nord, méprise à son tour la sauvage ignorance de ces derniers.

Jacob Almanzor, prince de génie, sut contenir dans le respect tous les peuples en-deçà et au-delà de l’Atlas, depuis le désert jusqu’au détroit, qu’il passa à plusieurs reprises pour relever la cause du mahométisme sur la péninsule espagnole ; grand monarque, qui voulait faire de Rabat, où l’on voit son tombeau, la capitale de son vaste empire. À sa mort, un démembrement général donna naissance aux royaumes de Fez, de Maroc, de Souz, de Tafilet et de Taroudant.