Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/656

Cette page a été validée par deux contributeurs.
652
REVUE DES DEUX MONDES.

le négoce pour leur compte, ces deux villes conservèrent, même après leur soumission, leur organisation primitive, dont toutes les traces ne sont pas effacées. Les deux cents artilleurs qui s’y trouvent s’efforcent d’observer une certaine discipline, s’exercent au tir et desservent les forteresses et les batteries. Dans les mêmes villes, un nombre à peu près égal de marins, les plus renommés de l’empire, conserve le monopole des souvenirs et des grands noms de la piraterie ; le grand-amiral actuel, Reys-Brittel, a été choisi et réside parmi eux. Ils ne s’occupent aujourd’hui que du pilotage des navires, de l’embarquement des marchandises et de leur débarquement. Artilleurs et marins reçoivent une paie que l’on prélève sur les recettes de leur douane. Le sultan ajoute quelquefois à ces salaires une gratification dont la valeur moyenne est de 10 fr. par an.

Partout ailleurs qu’à Rabat et à Salé, on voit artisans et marchands quitter l’échoppe à la réquisition du caïd pour saisir la rame ou la mèche, et devenir artilleurs ou marins. Il y a de l’activité dans les ports que le commerce européen fréquente, et les recettes de leurs douanes suffisent à la solde des marins. À Tanger, dont la rade reçoit beaucoup de navires de guerre, un vieux capitaine et quelques soldats d’artillerie n’ont d’autres fonctions que de faire les saluts d’usage, dont les consuls remboursent les frais à raison d’une ou deux piastres par coup. Cette rétribution suffit presque seule à l’entretien du capitaine et de sa compagnie.

La vieille terreur que les corsaires marocains ont inspirée à l’Europe s’explique par leur cruauté dans la victoire, bien plus que par leur habileté maritime et leur courage guerrier. Nous avons vu les plus célèbres navigateurs du pays, au moment où il s’agissait de lutter contre la vague, et de sauver avec leur vie celle d’une femme et d’un enfant, tomber à genoux, quitter la rame et se jeter en prières au fond de leur embarcation. Tout capitaine partant pour une expédition ultra-côtière, est obligé de laisser une caution ou une hypothèque sur tous ses biens ; en cas de naufrage, si l’équipage revient sans le navire, les biens hypothéqués sont saisis. Un brick marocain partit, il y a deux ans, pour Alexandrie avec un chargement de pèlerins ; malgré la conserve que lui donna un navire autrichien payé par le Maure, le brick échoua ; le capitaine ne reparut jamais.

Quant à la garde nationale du Maroc, chargée de faire le guet et de veiller aux remparts et aux portes, c’est une curieuse bande d’artisans et de boutiquiers. On les voit courir en désordre, vers la chute du jour, pour relever les postes, le fusil perpendiculaire ou horizontal au bras