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affables, ne tient pas une seule promesse quand son intérêt doit en souffrir, mais évite l’ostentation du parjure.

L’homme qu’il a associé à son œuvre, Sidi-Bendriz, cet ancien ministre de Muley-Soleiman, que les Oudaijas avaient eu l’idée d’opposer à Muley-Abderraman, et qui s’était prêté timidement à leur projet, convient parfaitement à son maître. Généreux envers lui comme envers tous les autres, Muley-Abderraman se contenta de le faire promener par les rues de Fez, nu et monté sur un âne, le visage tourné vers la croupe. Le caïd Souessy, père et prédécesseur du gouverneur actuel de Rabat, homme vénérable, expérimenté, et qui avait rendu de grands services au sultan, obtint sa grace et sa réintégration à la cour en qualité de katib. À la mort de Sidi-Moctar, le sultan hésita quelques mois dans le choix du successeur qu’il lui donnerait. Il avait d’abord jeté les yeux sur Sidi-Bias, aujourd’hui gouverneur de Fez, avec qui a négocié M. le colonel Delarue. Les négociations terminées, Sidi-Bias céda la place à Sidi-Bendriz. Les antécédens de ce dernier ont rendu son rôle timide et circonspect. Il s’efface, s’absorbe et disparaît ; mais son influence, pour agir par des voies secrètes et détournées, n’en est pas moins réelle.

L’administration du sultan, transformée en exploitation industrielle, souvent dirigée avec une avidité imprudente, a dû négliger les ressources guerrières. Comme tout sujet marocain naît soldat, les juifs et les esclaves exceptés, une levée en masse ne serait pas chose difficile. La pratique de la guerre, le maniement des armes, ne constituent pas une profession et exigent peu d’instruction spéciale. Il suffit de charger et de décharger le fusil, de dégaîner le sabre et le poignard ; le temps et le mode employés importent peu. L’ordre est une question de parade, non de tactique. Connaître l’exercice du cheval, c’est le lancer au galop, se relever sur les étriers, décharger l’escopette, la brandir sur sa tête, et arrêter le coursier pour recharger son arme. Pas un seul Maure, les tolbas exceptés, dont la lecture et l’écriture sont l’unique emploi, qui n’ait fait de l’équitation les délices et l’occupation de sa jeunesse.

Ces exercices précoces et continus, joints à une constitution aguerrie par la sobriété, constituent l’excellence du cavalier maure. Leurs étriers lourds, les nœuds de cuir ou de corde qui couvrent leurs jambes de contusions et de meurtrissures, les courroies trop courtes qui engourdissent leurs genoux, n’ôtent rien à l’aisance et à la sûreté de leurs mouvemens. Ils restent à cheval des jours, des semaines, des mois entiers, passent quinze ou vingt heures sans manger et sans