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LE MAROC ET LA QUESTION D’ALGER.

Mais cette violence n’atteignit pas le but que se proposait Muley-Abdallah ; il n’avait fait que changer de tyran. Les Oudeijas, la tribu qui avait principalement contribué à l’extermination des noirs, hérita de leur prépondérance et de leurs excès. Muley-Abderraman, à son accession au pouvoir, les eut pour adversaires. Ils voulaient élever au trône Sidi-Bendriz, dernier ministre de Muley-Soleiman ; une grande partie de la population de Fez se mit au service de leurs projets. La ville neuve, dans laquelle se trouve le palais impérial où était mort Muley-Soleiman, ferma ses portes à Muley-Abderraman, qui dut y pénétrer par la force des armes. Les Beni-Hassen et les Bérebères des environs de Fez et de Méquenez, toujours ardens au pillage, marchèrent contre Fez avec les tribus du sud ; quelques pièces d’artillerie fournies par Rabat et Salé renforcèrent l’armée du sultan ; et Fez, battue en brèche, livra passage au vainqueur. Muley-Abderraman entra le premier par la brèche et marcha droit au palais, pendant que l’armée mettait la ville au pillage. Les Oudeijas, traqués dans les rues, furent pris et garrottés ; Muley-Abderraman put suivre plus tard son penchant à la clémence. Les principaux chefs furent exilés au-delà de l’Atlas et dans les forteresses du sud ; la tribu, divisée en petites bandes, fut dépaysée et disséminée. Quelques-unes de ces bandes vivent encore sous des tentes, le long des grandes routes.

Le nombre des troupes régulières fut alors considérablement réduit, et l’armée soumise à une nouvelle organisation. Ce n’est plus à une seule tribu que sont confiés la garde du souverain et le service du gouvernement central. Toutes les provinces de l’empire concourent à la formation de cette milice, suivant la proportion relative de leur population. Le nombre ordinaire de l’armée permanente n’est que de trois à quatre mille hommes. Ce nombre peut s’augmenter, mais seulement pour le temps du péril. Le soldat en campagne reçoit la solde, le soldat inactif ne reçoit rien ; Muley-Abderraman est économe.

Avant lui, cinquante-quatre ans de constructions et de guerres avaient épuisé le trésor. Au lieu des 100 millions de ducats (environ 340 millions de francs) que Muley-Ismaïl avait laissés, ce trésor était réduit, à la mort de Sidi-Mohammed, à 2 millions de ducats, et l’on ne sait pas au juste ce qu’il en restait à l’avénement de Muley-Abderraman. Le pillage, favorisé par un moment de révolte et d’interrègne, avait achevé sans doute l’œuvre commencée par la décadence du commerce et la voracité des ministres. Remplir le trésor, l’accroître et le combler, a toujours été pour Muley-Abderraman le souci le plus pressant et le besoin le plus vif.