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sache exactement l’âge de ses enfans. L’ignorance du peuple est telle que ses calculs ne remontent pas au-delà du mois courant, et qu’il compte les jours sur ses doigts.

Muley-Abderraman passe pour avoir atteint sa cinquantième année. Son règne date de 1822. C’est un homme de moyenne taille, dont la barbe large et d’un noir de jais tranche vivement sur un teint brunâtre, dont les yeux, grands et expressifs, sont inégaux et louches. Sérieux sans être hautain, il affecte ce maintien calme et grave qui, chez les musulmans, dénote l’éducation supérieure, la dignité du rang et la noblesse du caractère. Simple dans ses manières et dans ses goûts, il dédaigne le faste, et, dans la vie intime, il serait difficile de le distinguer de ses caïds et de ses tolbas. Le parasol, attribut de la royauté, l’accompagne toujours ; c’est le seul signe de son pouvoir.

Les trois palais qu’il habite alternativement à Fez, à Méquenez et à Maroc, sont vastes et semblent de petites villes renfermées dans une grande cité ; mais l’aspect de ces édifices n’a rien d’imposant. Les fantaisies de l’architecture moresque de la décadence, l’ogive découpée, échancrée et dentelée, les moulures en plâtre colorié, le pavé à grands carreaux de marbre ou en mosaïque de briques vernissées, un péristyle très simple autour des cours intérieures, et, au centre de toutes les salles, un bassin de marbre avec un jet d’eau, tels sont les seuls ornemens qu’on y remarque. Le luxe a été réservé pour la disposition et l’embellissement des grands jardins renfermés dans l’enceinte du palais. Glaces, porcelaines, pendules et meubles, magnifiques cadeaux envoyés par les cours chrétiennes, s’entassent dans un petit nombre de pièces ; véritable exposition des produits de l’industrie des deux mondes. La cuisine du sultan, qui se fait, comme celle de tous les Maures, sur de petits fourneaux portatifs en argile cuite, fonctionne toujours en présence de Muley-Abderraman. C’est ordinairement une juive qui remplit les fonctions d’intendante. Chaque matin, elle vient déposer aux pieds du maître une corbeille de provisions et de fruits, parmi lesquels il choisit ce qui doit servir à ses trois repas, qu’il prend toujours seul. Il y a, dans diverses parties du palais, des offices servis par un grand nombre d’esclaves, hommes et femmes, pour les principaux caïds, le harem, les hôtes du sultan, les courriers en mission, les domestiques et les pauvres des grandes mosquées.

Au commencement de son règne, Muley-Abderraman ne paraissait au méchouar, ou conseil d’état, que trois ou quatre fois par