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l’Étudiant de Nassau, dont il n’est rien resté. Plus tard il en fit un autre, dont Cosme de Médicis était le principal personnage, et qui a été détruit comme le premier. Ses amis disent qu’il y avait là plusieurs scènes vraiment dramatiques et des passages très remarquables.

Tout en composant ainsi des plans de tragédie, Schiller s’essayait dans un autre genre. La plus ancienne composition qui nous ait été conservée de lui est une ode intitulée le Soir. C’est une œuvre de souvenir plutôt que d’inspiration première, une sorte de rapsodie écrite sous l’impression des lectures favorites du poète. Le rédacteur du Magasin Souabe la jugea pourtant digne d’être publiée, et y ajouta une note ainsi conçue : « L’auteur de ces vers est un jeune homme de seize ans. Il nous semble qu’il a déjà lu de bons auteurs, et qu’il pourra avoir avec le temps os magna sonaturum. »

En 1777, une seconde pièce de Schiller fut publiée dans le même recueil, et suivie de cette observation du rédacteur : « Ces vers sont d’un jeune homme qui lit tout en vue de Klopstock, et ne voit et ne sent que par lui. Nous ne voulons pas étouffer son ardeur, mais la modérer. Il y a dans cette pièce des non-sens, de l’obscurité et des images outrées. Si l’auteur parvient à se corriger de ces défauts, il pourra avoir une place assez distinguée et faire honneur à sa patrie. »

Il est de fait qu’il y avait dans cette nouvelle composition moins d’originalité encore que dans la première. C’était, pour le fond comme pour la forme, une imitation servile de Klopstock. « Dans ce temps-là, dit plus tard Schiller, j’étais encore un esclave de Klopstock. » Du reste, la manière même dont il travaillait à cette époque n’annonçait guère avec quelle facilité il écrirait un jour. « Qu’on ne s’imagine pas, dit un de ses amis, que ses premières poésies fussent le fruit d’une imagination toujours riche et toujours abondante, ou l’inspiration d’une muse amie. Non pas vraiment. Ce ne fut qu’après avoir long-temps recueilli et classé ses impressions, après avoir amassé des remarques, des idées, des images, après maint essai avorté et anéanti, qu’il parvint, à peu près vers l’année 1777, à s’élever assez haut pour que des juges clairvoyans pressentissent en lui le poète futur, plutôt cependant d’après des observations assez minimes que d’après des œuvres importantes. »

Cependant toutes ces études en dehors des devoirs classiques, la surveillance rigoureuse exercée par les maîtres, la punition qui suivait de près la menace, ne faisaient que rendre plus odieux à Schiller le séjour de l’école. Une fois il avait projeté sérieusement de s’enfuir ; mais la crainte que le mécontentement du duc ne rejaillît sur