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LE MAROC ET LA QUESTION D’ALGER.

saient sur le roc de Sainte-Croix, aux bouches du Tamzif, de la Morbeya et du Sébou, des forteresses dont quelques-unes devaient servir de noyau à des cités populeuses ; ils agrandissaient et fortifiaient Saffi, bâtissaient Mazagan, pillaient et détruisaient Anfà, se retranchaient dans Azamore, dans Arzilla, dans Ceuta, dans Tanger. Les Espagnols forçaient Rabat et Salé, prenaient et reprenaient Larache, occupaient Mellille, Alhucéma et Peñon de Goméra, qu’ils ne devaient plus abandonner ; ils pénétraient enfin jusqu’à Oran. Plus tard, au XVIIe siècle, le Portugal admit à la même œuvre l’Angleterre, en cédant Tanger à Charles II pour la dot de Catherine.

Les souverains de Fez et de Maroc, tout occupés à guerroyer entre eux et contre les peuplades rebelles, subissaient le blocus de l’étranger. Cependant, après d’énergiques efforts et des atrocités inouies, la dynastie des shérifs, qui règne encore aujourd’hui, étant parvenue à réunir sous sa loi les deux royaumes et les tribus voisines, dirigea toutes ses forces contre les envahisseurs. Cette unité nouvelle du pouvoir africain lutta victorieusement contre les chrétiens, qui se divisèrent et perdirent l’une après l’autre toutes leurs positions. L’Angleterre évacua, en 1684, Tanger, dont elle eût pu faire une position plus avantageuse que Gibraltar. L’Espagne seule, en dépit des attaques réitérées des sultans, réussit à conserver sur la Méditerranée les places de Ceuta, de Mellille, d’Alhucéma et de Peñon de Goméra. En 1788, elle fut obligée d’abandonner Oran.

À cet accroissement du pouvoir dont les sultans s’emparèrent, que pouvaient opposer les chrétiens, divisés et rivaux ? Tenter le blocus d’une côte de deux mille lieues, d’un pays qui se suffit à lui-même, et qui peut frayer à son commerce d’autres voies par l’intérieur des terres ? La France, la Hollande, récemment l’Angleterre et l’Autriche, l’essayèrent en vain. Le blocus du Maroc par l’Angleterre compromettait Gibraltar bien plus que Tanger, et une rupture sérieuse avec le Maroc eût fermé à cette place la source de son approvisionnement.

Fallait-il essayer de détruire la marine marocaine ? Aux époques de sa gloire, elle n’avait compté qu’un très petit nombre de gros navires, qui n’avaient pas ordinairement plus de dix-huit canons de six, plus de deux cents tonneaux, plus de cent cinquante hommes d’équipage ; jamais ses vaisseaux les plus considérables n’ont pu tenir contre la marine européenne. De petites embarcations, felouques, galiottes, misticks, allant à la rame, chargées de pierres plus que d’aucune autre arme, et montées par un nombreux équipage, merveilleusement servies par la situation et la nature de la côte, com-