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des langues et toutes les transactions avec les Européens, leur appartiennent. Un caractère adroit, fourbe, souple et insinuant, une parole mielleuse, abondante, infatigable, l’hypocrisie de la soumission respectueuse, ont accompli cette étrange domination des esclaves sur les maîtres et annulé l’empire des musulmans. Ainsi la brutalité cède à la ruse, l’orgueil à l’intérêt, la tyrannie en haillons à l’esclavage opulent.

§ IIICOUP D’ŒIL HISTORIQUE SUR LA FONDATION DE L’EMPIRE DE MAROC ET SUR SES RAPPORTS DIPLOMATIQUES AVEC L’EUROPE.

Depuis la chute de Carthage et de Rome jusqu’au XIVe siècle, les peuples de la côte septentrionale de l’Afrique n’eurent aucun rapport avec l’Europe. Le commerce actif que les Carthaginois avaient fait sur le littoral des deux mers, d’abord refoulé vers l’Orient, s’était concentré enfin sur l’Égypte. Les progrès de la navigation, aux XIIIe et XIVe siècles, le reportèrent sur la côte méridionale au-delà du cap Blanc. Avant cette époque, la lutte de l’empire grec contre l’invasion barbare, grand duel transféré en Afrique, n’avait pas dépassé le littoral de la Méditerranée.

Une autre lutte, celle du christianisme contre le mahométisme, mit pour la première fois les Maures en contact avec l’Europe. Lorsque les Arabes, maîtres de l’Espagne, se trouvèrent réduits à implorer les secours de leurs coreligionnaires d’outre-mer, les reis de Fez et de Maroc passèrent le détroit, partagèrent la fortune de leurs frères, et décidèrent la victoire en faveur de l’Islam. Le poids que l’épée de ces rois jetait dans la balance leur donna long-temps la suzeraineté de l’Espagne mahométane, suzeraineté que les dissensions intestines de ces royaumes ne permirent pas d’établir en principe. Une foule d’états se disputaient le terrain ; une foule d’ambitieux aspiraient au pouvoir. À la mort de Jacob Almanzor, le Charlemagne de l’Afrique, tous les peuples que sa main puissante avait tenus réunis, mais non confondus, se séparèrent et usèrent leurs forces contre eux-mêmes.

Le christianisme à son tour, après avoir chassé les mahométans, passa la mer et les poursuivit jusqu’au pied de l’Atlas. De la côte de Blad-Noun aux confins du désert, il étendit un grand filet de villes militaires et commerçantes qui menaçaient de se refermer sur tous ces peuples et de les réunir au monde civilisé. Le Portugal et l’Espagne semblaient s’être partagé cette mission. Les Portugais bâtis-