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LE MAROC ET LA QUESTION D’ALGER.

de grammaire s’en tiennent à la lettre, et s’embarrassent peu du sens. Entre les ulémas ottomans et ces tolbas mauresques, il y a une énorme distance. Nous ne parlons pas des musiciens et poètes, baladins misérables qui jouissent parmi le peuple d’un immense crédit, et le soutiennent par leurs gestes furibonds et leur débit emphatique. Les habitans des villes, fiers de cette civilisation informe qui leur assure la prépondérance sur les Bérebères et les campagnards, forment une caste jalouse de ses alliances et de sa haute position, et qui se donne le titre de classe des commerçans (toujaret).

À ces trois classes musulmanes, il faut ajouter les juifs jetés en Afrique par les persécutions des princes chrétiens, et surtout de l’Espagne. On rencontre, bien avant dans les terres, des familles israélites vivant sous des tentes, vêtues comme les Maures parlant la même langue, et ne connaissant que celle-là, n’offrant dans leurs manières de vivre et dans leurs mœurs sauvages que les singularités déterminées par la différence des cultes. On sait d’ailleurs que la langue hébraïque a de plus frappantes analogies avec le dialecte barbaresque qu’avec l’arabe littéral. À quelle époque et à quel évènement remonte l’émigration de ces familles ? Nul ne peut le dire. Presque aussi indépendantes que les tribus maures de la campagne, elles jouissent d’une liberté bien plus étendue que leurs coreligionnaires des villes.

Toutefois on ne doit pas imaginer que la servitude juive soit aussi réelle qu’apparente. Sans doute le premier musulman venu peut injurier et battre un juif sans que ce dernier ait le droit de se plaindre, s’asseoir à son foyer et à sa table sans qu’on ose le chasser ; les juifs ne peuvent passer ni devant les mosquées ni devant le pavillon impérial ; ils se déchaussent pour entrer dans une maison maure ; il leur est défendu de monter un cheval de selle ; ils ne peuvent entrer dans une ville qu’à pied ; ils parlent à leurs tyrans à genoux et en baisant le bas de leur manteau ; ils rampent, ils se voilent, ils ferment leur intérieur aux rayons du soleil : cependant ils sont les maîtres. La persévérance de leur avarice, de leur cupidité et de leur souplesse, a remporté un triomphe définitif. Ils sont riches, on a besoin d’eux.

D’ailleurs, la protection assurée au commerce par Muley-Abderaman, sultan actuel, a dû rejaillir sur les commerçans juifs ; leur génie mercantile, plus fécond, plus actif, plus éclairé que celui des Maures, a placé sous leur loi tout le commerce extérieur. Le prêt à usure, surtout dans la campagne, le courtage, l’expertise des marchandises, le contrôle des monnaies et des comptes, l’interprétation