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jeter un si grand jour sur la doctrine de l’illustre auteur du Phèdre, n’avait guère été élucidée jusqu’ici. M. Riaux, un des premiers, y a porté une active recherche, une intelligente lumière. Nous ne pouvons suivre l’auteur dans cette exposition polémique qui est un des plus remarquables chapitres de son livre. La critique de l’éléatisme par Aristote n’a, il faut le dire, ni la même valeur, ni le même mérite que celle de Platon. Aristote attaque les idées de Parménide avec une certaine âpreté ; mais sur les points où il a raison contre l’auteur du poème de la Nature, il se trouve presque toujours qu’il a été devancé par Platon. Le chapitre qui concerne Aristote n’est certainement pas le meilleur du travail de M. Riaux ; on n’y retrouve au même degré ni élévation de pensées, ni les qualités de style qui apparaissent à d’autres endroits de l’Essai. Je ferai le même reproche aux pages, fort intéressantes d’ailleurs, qui concernent la polémique des alexandrins. Il y a là quelque chose de trop hâté. La pensée n’a plus le même degré de rigueur, et l’absence de concentration se fait sentir.

Dans une quatrième et dernière partie, M. Riaux résume la théorie de Parménide et la juge. L’éléatisme, comme toute grande doctrine, contient du vrai et du faux. C’est un idéalisme très net et très tranché, mais un idéalisme naissant et qui n’a pu encore se fortifier par les épreuves que les systèmes analogues ont dû traverser plus tard. Son côté faible est de nier arbitrairement la connaissance sensible et de s’appuyer sur l’abstraction pour atteindre la réalité. Mais, en revanche, Parménide fit ressortir la notion d’unité qui est impliquée dans la notion de tout être ; puis il se servit le premier, sous la forme d’un principe général, du principe de causalité, et signala la notion de l’être nécessaire comme la notion fondamentale de la philosophie. Dans l’histoire aussi l’éléatisme a eu un rôle qui n’est pas sans grandeur ; l’empirisme ne s’est jamais relevé des coups qu’il lui porta.

M. Riaux, dans sa conclusion, est conduit à ramener le système de Parménide à un système de logique et de dialectique pris dans le sens le plus étendu. Il aurait dû, selon nous, faire ressortir avec plus d’insistance le caractère panthéistique de l’école des éléates, non pas que l’ontologie de Parménide doive être mise sur la même ligne que l’ontologie de Spinosa ; mais, si imparfaite qu’elle soit, elle semble la première forme du panthéisme idéaliste. Sans doute M. Riaux a signalé avec force la formule que « l’être est identique à la pensée ; » mais il a évité à tort les comparaisons récentes, les rapprochemens de noms propres. Fichte, Hegel, M. Schelling, rappelaient des théories qu’il eût été piquant et légitime de mettre en regard des fragmens du περὶ φύσεως. Nous regrettons que M. Riaux n’ait pas osé aborder cette partie moderne de son sujet. Il ne fallait pas craindre d’être amené comme conclusion au vieux proverbe : Nil novi sub sole.


V. de Mars.