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Le livre de M. Riaux contient quatre parties distinctes. La première n’est autre chose qu’une introduction. L’auteur commence par y énumérer en les jugeant avec beaucoup de réserve, les publications antérieures dont Parménide a été l’objet, et ce n’est pas sans plaisir que nous avons retrouvé en tête de cette liste le nom de Henri Estienne. Ainsi les vers du célèbre éléate semblaient appartenir plus particulièrement à l’érudition française. C’est en France que ces précieux débris, que ce chant antique du panthéisme primitif, ont été publiés pour la première fois ; c’est en France aussi qu’un travail sérieusement définitif devait s’accomplir sur les fragmens mutilés de l’œuvre de Parménide. Après Henri Estienne, Joseph Scaliger s’occupa du poème de la Nature ; mais son travail est resté enfoui dans les manuscrits de la bibliothèque de Leyde, et il s’écoula deux cents ans avant que Fülleborn donnât une nouvelle édition de Parménide. Notre siècle, curieux de ces antiquités philosophiques, et dont l’esprit inquiet s’est éveillé sur tant de points, ne pouvait manquer de s’attaquer à l’éléatisme. L’auteur du περὶ φύσεως en particulier a été l’occasion de plusieurs travaux remarquables. M. Amédée Peyron, en 1810, donna un texte plus correct, d’après un manuscrit de la bibliothèque de Turin. Trois années plus tard, dans ses Commentationes eleaticæ, M. Brandis déploya, à propos de Parménide, toute l’inépuisable abondance de son érudition, toute l’exactitude de sa philologie scrupuleuse. Enfin, plus récemment, en 1835, un savant hollandais, qui remplit dans son pays de hautes fonctions universitaires, M. Simon Karsten, a commencé une vaste publication sur les prédécesseurs de Platon. Parménide devait avoir et a eu sa place, une place notable, dans cette entreprise où il n’occupe pas moins d’un volume. Au point de vue philologique, M. Karsten semble avoir épuisé le sujet, quoique des grammairiens raffinés puissent peut-être le contredire sur des subtilités de détail. Le texte de M. Karsten peut donc être regardé comme définitif ; après lui il n’y a plus que des infiniment petits à glaner. On ne saurait donner les mêmes éloges à la partie dogmatique du livre de M. Karsten. La reconstruction de la doctrine de Parménide manque de puissance et d’étendue ; si l’on excepte le côté cosmologique, qui est traité avec une érudition très informée et perspicace, il n’y a là qu’une ébauche fort imparfaite de l’éléatisme. M. Riaux s’est efforcé avant tout de remplir la lacune laissée par ses prédécesseurs. Après les philologues, le philosophe ; après la lettre, l’esprit. Mais, avant d’aborder la théorie éléatique, il y avait à vider une question de chronologie. Plusieurs opinions, et des opinions tout-à-fait divergentes, ont été émises au sujet de l’époque précise à laquelle est né Parménide. M. Riaux s’est livré sur ce point à une discussion un peu longue, malgré les autorités graves qu’il fallait combattre. De la sorte, toutefois, la naissance du philosophe se trouve fixée à l’an 519 avant J.-C. C’est un point de chronologie qui est désormais acquis à la science.

La seconde partie du livre de M. Riaux est sans contredit la plus importante et la plus originale. C’est une restitution étendue, développée, du système de Parménide. Xénophane avait déjà inauguré la théorie de l’unité ab-