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SCHILLER.

profonde de la servitude qu’il a si souvent et si énergiquement exprimée dans ses drames. Six mois après son entrée à l’école, il écrivait au fils du pasteur Moser, qui était devenu son ami, et lui racontait d’un ton douloureux à quelles lois il était assujetti. Quelques mois plus tard, il lui dit : « Tu crois que je suis enchaîné à cette sotte routine que nos inspecteurs regardent comme une honorable méthode ? Non ; aussi long-temps que mon esprit pourra prendre l’essor, nuls liens ne le feront fléchir. Pour l’homme libre, l’image seule de l’esclavage est un odieux aspect ; et il devrait regarder patiemment les chaînes qu’on lui forge !… Ô Charles, le monde que nous portons dans notre cœur est tout autre que le monde réel ! Nous connaissions l’idéal et non pas le positif. Souvent je me révolte quand je me vois menacé d’une punition pour un fait dont tout mon être atteste l’innocence. »

Tout en souffrant amèrement du genre de vie qu’il menait à l’école, Schiller étudiait avec zèle, et faisait de rapides progrès dans l’étude du français, de la géographie, de l’histoire et surtout de la philosophie ; il n’en était pas de même de la jurisprudence qui devait être sa partie spéciale. Il était, sous ce rapport, en arrière de tous ses camarades, et ses professeurs en droit n’avaient de lui qu’une très médiocre opinion ; mais le duc, plus clairvoyant, l’avait deviné : Laissez-le aller, disait-il, on en fera quelque chose.

Frédéric suivait depuis environ un an les cours de jurisprudence, lorsque le duc, qui examinait sans cesse et attentivement l’état de son académie, reconnut que le nombre des élèves en droit était hors de proportion avec celui des autres facultés. Il essaya de le diminuer, et, par suite de cette nouvelle disposition, engagea les parens de Schiller à faire étudier la médecine à leur fils. Ils reçurent à regret cette invitation, car la jurisprudence leur offrait une perspective plus brillante que la médecine, mais ils étaient dans la dépendance absolue du prince, et ils obéirent ; Frédéric partageait leurs regrets et leurs préventions. Cependant il ne tarda pas à apporter dans ses nouveaux devoirs un zèle et une application qu’il n’avait jamais manifestés dans l’étude du droit. Il commençait à pressentir sa destinée de poète dramatique, et il lui semblait que la physique, la physiologie, l’anatomie, ne lui seraient pas inutiles dans la conception de ses tragédies. Plus tard, il disait aussi que le poète devait avoir, en dehors de ses travaux favoris, une science spéciale, une carrière à suivre, n’importe laquelle. « Je crains depuis long-temps, écrivait-il à un de ses amis, et non pas sans raison, que mon feu poétique ne s’éteigne,