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esprits. S’appliquera-t-on à rechercher ce que nous commandent dans les circonstances présentes l’honneur, la dignité, l’intérêt légitime du pays ? Ou bien parlera-t-on à perte de vue uniquement pour savoir lequel des trois ministères, du 12 mai, du 1er mars, du 29 octobre, a commis le plus d’erreurs dans l’affaire d’Orient ? Si les débats prennent cette direction, ils seront déplorables. Nous verrons des hommes qui ont eu ou qui ont l’honneur de siéger dans les conseils de la couronne se jeter l’un l’autre à la tête leurs fautes prétendues ou réelles, et ramener les intérêts les plus graves du pays aux minces proportions de l’attaque et de la défense personnelle.

Les adversaires du 1er mars rechercheront probablement avec d’autant plus d’acharnement ce genre de combats, qu’ils se croiront très forts de la majorité qui vient de se déclarer. Ils se trompent, la majorité ne fait rien à l’affaire car à coup sûr elle ne fermera pas la bouche aux ministres du 1er mars. Dès lors le pays peut regretter ces tristes débats, les ministres du 1er mars ne peuvent pas les craindre ; dans leur intérêt personnel, ils doivent les désirer. Leur politique à l’endroit de l’Orient a été sage, ferme, loyale ; ils le prouveront, s’il le faut, pièces en main. Et quant au dissentiment qui a amené leur retraite, il n’y a là rien de fâcheux pour personne. Le 1er mars prévoyait la guerre ; le 29 octobre prévoit la paix. Nous sommes convaincus que le cabinet du 1er mars prévoyait la guerre, tout en désirant sincèrement la paix, une paix honorable s’entend, comme nous croyons que le 29 octobre n’a pas du tout pris les affaires pour nous donner une paix honteuse. Disons plus : il n’y a pas d’homme au monde qui de propos délibéré entrât aux affaires pour sacrifier son pays ; ce sont là des exagérations de l’esprit de parti. Les hommes les plus habiles et les mieux intentionnés peuvent se tromper. Lequel se trompe ici, du ministère du 1er mars, qui prévoyait la guerre, ou de celui du 29 octobre, qui compte sur la paix ? C’est là la question que les chambres devront implicitement résoudre. Les tendances de la chambre, il faut le dire, ne paraissent pas douteuses ; mais, quelles qu’elles soient, que le ministère ne se presse point d’entrer en conférence, de signer un traité : ce n’est pas lui qui doit chercher à renouer les négociations ; ce rôle appartient à ceux qui ont jugé à propos de mettre en oubli notre alliance.

On dit que M. de la Redorte, notre ambassadeur en Espagne, a envoyé sa démission. Sa retraite serait d’autant plus à regretter, qu’il remplit sa difficile mission avec une mesure, une fermeté, une intelligence qui ne laissent rien à désirer. Il a prouvé de la manière la plus honorable que M. Thiers, en le proposant au choix de la couronne, n’avait pas cédé aux préventions de l’amitié.