Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/603

Cette page a été validée par deux contributeurs.
599
REVUE. — CHRONIQUE.

ferme espérance qu’elles sauront les éviter. Ces écueils sont, ce nous semble, un amour emporté de la paix, un désir excessif d’économies, un goût trop prononcé pour les émotions parlementaires et les combats personnels.

L’amour de la paix serait excessif, s’il envisageait les faits d’une manière peu conforme à la dignité du pays, s’il méconnaissait des intérêts français là où ils existent réellement, s’il redoutait outre mesure les conséquences de la guerre.

Nous l’avons déjà dit, le traité du 15 juillet n’est pas un outrage, mais c’est un mauvais procédé à notre égard. Si nous ne devons pas tirer l’épée pour un peu plus ou un peu moins de Syrie, l’Angleterre devait encore moins oublier l’alliance intime de la France pour enlever quelques jours plus tôt un peu plus ou un peu moins de Syrie à un vieillard de soixante-quatorze ans. C’est là l’appréciation vraie, froide du fait. Nous croyons que sur ce point les ministres passés et présens seront parfaitement d’accord. Les chambres pourraient-elles voir les choses autrement, pourraient-elles, sans manquer à la dignité du pays, regarder le traité du 15 juillet comme un fait qui ne doit causer chez nous aucune espèce de ressentiment, pas même la froideur, l’isolement et les mesures qui sont les conséquences forcées de l’isolement ? Nous ne le pensons pas, et nous le craignons encore moins. Si le traité du 15 juillet doit rester tel quel, si rien ne doit être fait en considération de la France, quoi qu’il arrive en Orient, la France ne peut quitter honorablement la position qu’elle a prise. Il n’est pas question ici du pacha, du sultan, de l’Égypte, de la Syrie ; il est question de la France et de ses rapports avec les autres puissances. S’il n’y a pas là une cause suffisante de guerre, il y a encore moins un motif de rapprochement et d’adhésion. La France peut rester isolée : elle n’a pas besoin de protecteur.

Les intérêts français ne sont pas, il est vrai, compromis jusqu’ici, ils ne le sont pas du moins d’une manière grave ; car jusqu’à un certain point, ils le sont par l’influence qu’on cherche à exercer par toute sorte de moyens sur les populations de la Syrie, en particulier sur les populations chrétiennes, qui depuis un temps immémorial ne reconnaissaient d’autre guide en Europe que le royaume catholique de France. Mais des intérêts français peuvent se trouver gravement blessés d’un moment à l’autre par le cours des évènemens, même sans projet délibéré des alliés. Qu’arriverait-il si Ibrahim-Pacha battait le prince de la montagne et forçait les alliés à de nouveaux efforts ? Qu’arriverait-il si, Ibrahim-Pacha étant battu, les populations chrétiennes, exaltées par le succès, ne consentaient pas à reprendre le joug des Turcs ? Qu’arriverait-il si les populations mahométanes, irritées des progrès des chrétiens, se levaient à leur tour et plongeaient la Syrie dans toutes les horreurs de la guerre civile ? Enfin, qu’arriverait-il si les diatribes de la presse anglaise et la mauvaise fortune du pacha, et, disons-le, un peu d’or habilement dépensé, faisaient éclater une insurrection en Égypte, sous le canon des vaisseaux fermant le port d’Alexandrie ?

Rien de tout cela n’est certain ; ce ne sont que des suppositions plus ou moins