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montagnes escarpées y enferment des vallées d’une fertilité presque fabuleuse, et où se presse une population innombrable. Toute la partie virile de cette population fait le métier pénible et dangerereux de contrebandier, et rien ne dispose mieux que cette existence de ruses, de fatigues et de luttes à la vie de guérillero. Il n’est pas rare de rencontrer dans la Serrania des convois de cent mulets portant des marchandises introduites en fraude et conduites par quarante ou cinquante montagnards armés d’escopettes. Donnez à ces hommes un drapeau et un cri de guerre, vous avez des compagnies franches toutes faites.

Gomez arriva à Ronda le 16 novembre. Il y distribua en une seule journée deux mille fusils à des volontaires. Il repartit le 17, et marcha vers la mer, toujours talonné par l’ennemi et entouré de plus de quarante mille hommes en armes. Le 21, l’armée expéditionnaire défilait devant Gibraltar ; la garnison et la population entière sortirent pour voir passer ces soldats, qui étaient encore, trois mois auparavant, dans les Asturies, et qui se trouvaient alors à l’autre extrémité de la Péninsule, en face de l’Afrique. Arrivé à Algésiras, Gomez y fréta un navire pour sauver au moins ce qu’il pourrait ; les membres de la junte carliste de Cordoue y furent embarqués, et avec eux une partie de l’argent qui avait été perçu par l’expédition pour le trésor royal. Mais les croiseurs anglais s’emparèrent du bâtiment dès qu’il fut en mer ; les prisonniers et l’argent, qui ne s’élevait pas au-delà de 25,000 piastres (125,000 fr.), furent mis à la disposition du gouvernement espagnol.

Cependant Gomez, acculé à la mer, n’avait plus d’autre alternative que de périr ou de passer au travers des troupes nombreuses qui le cernaient dans la pointe de terre qui porte Gibraltar. Il l’essaya avec sa résolution ordinaire, mais cette fois sans un complet succès. Il passa, mais en se faisant battre ; il n’avait pu éviter d’être rejoint par Narvaez près d’Arcos de la Frontera. Quand il vit qu’un engagement était nécessaire, il prit position avec une partie de ses troupes sur un plateau très élevé nommé Majaceite, du nom d’une ferme située au pied de l’éminence, pendant que le reste de l’armée marchait avec les bagages dans la direction du nord, et passait la rivière de Majaceite sur des ponts construits à la hâte. Le plateau fut enlevé à la baïonnette par Narvaez le 25 novembre, et les forces qui l’occupaient obligées de se replier dans le plus grand désordre. C’était la première fois qu’un général constitutionnel atteignait réellement Gomez. Le succès de Narvaez fut célébré à Madrid avec de grands transports de joie. Les