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profita à Gomez, et lui permit de s’avancer sans résistance jusqu’à vingt lieues de Madrid ; elle fit plus encore pour lui, elle lui fit gagner, sans qu’il la cherchât, une victoire éclatante, signalée, qui doubla en un jour sa renommée.

La garde royale et les autres troupes de la garnison de Madrid qui avaient pris part à la révolte de la Granja, n’étaient pas un des moindres embarras du gouvernement insurrectionnel. Ces troupes indisciplinées menaçaient la capitale d’un pillage et commettaient déjà des excès de tout genre. Le général Rodil, qui avait commandé l’armée du nord, fut nommé ministre de la guerre et généralissime de toutes les troupes, avec les pouvoirs les plus étendus. Pour débarrasser Madrid de cette soldatesque qui l’épouvantait, Rodil annonça l’intention de se rendre lui-même à la tête de la garde royale à l’armée du nord, et il donna ordre au brigadier don Narciso Lopez de partir sur-le-champ avec treize cents des plus mutins pour lui servir d’avant-garde. Lopez partit en effet, et se dirigea vers la Navarre ; mais ayant appris en route qu’une partie des troupes de Gomez se trouvait à Jadraque, il marcha étourdiment de ce côté, malgré les représentations du vieux général Manto, qui lui fit dire plusieurs fois de prendre garde à lui. Ivre d’elle-même, sa troupe croyait marcher à une victoire aussi facile que celle de l’émeute ; elle ne rencontra qu’un prompt châtiment.

Arrivé à Matilia, Lopez, croyant attaquer un des détachemens de Gomez, se jeta sur le gros de l’armée expéditionnaire. Ses treize cents hommes furent presque aussitôt entourés et obligés de se rendre jusqu’au dernier, ainsi que leur chef. Parmi eux se trouvait un des sergens de la Granja. Deux cavaliers seulement purent s’échapper et porter la nouvelle de ce désastre. Madrid trembla et crut voir Gomez à ses portes.

Mais cette heureuse rencontre de Jadraque n’avait rien changé aux projets du chef carliste. Plein du juste sentiment de sa faiblesse, il n’avait profité de son succès de hasard que pour continuer plus sûrement sa route vers le haut Aragon, en traçant dans sa marche une ligne diagonale à travers l’Espagne. Espartero, atteint d’une forte attaque de son inflammation de vessie, s’était arrêté très malade a Lerma ; il avait laissé le commandement de sa division à son second, le brigadier Alaix, et celui-ci continuait mollement une poursuite qui devait le mener plus loin qu’il ne croyait. Gomez, toujours poursuivi, mais de loin, longea, pendant plusieurs jours, les frontières du royaume d’Aragon et celles du royaume de Valence, et parvint le