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Toutefois il faisait des progrès assez notables ; il désirait toujours devenir prêtre, et il subissait régulièrement les examens imposés à ceux qui voulaient quitter le gymnase pour entrer dans les écoles spéciales de théologie. En 1769, à la suite d’un de ces examens, il fut noté ainsi : Puer bonœ spei, quem nihil impedit quominus inter potentes hujus anni recipiatur.

Ce fut à Louisbourg que Schiller assista, pour la première fois, à une représentation théâtrale. On jouait un de ces fades opéras mythologiques imités de ceux de Versailles ; mais l’éclat des décorations, le costume des acteurs, la musique, produisirent sur l’enfant, qui jamais n’avait rien imaginé de semblable, une profonde impression. Dès ce moment, il abandonna ses jeux habituels pour dresser un théâtre où il faisait, comme Goethe, mouvoir des marionnettes. C’est de Louisbourg aussi que date sa première inspiration poétique. Un jour qu’il avait récité plus couramment encore que de coutume sa leçon de catéchisme, son maître lui donna deux kreuzers (un peu moins de deux sols). Un de ses camarades reçut la même récompense. Fiers de leurs succès, riches de leur petit trésor, tous deux se réunirent comme des hommes dignes de marcher ensemble, associèrent leur fortune et résolurent d’aller gaiement la dépenser dans une ferme. Ils arrivent au hameau voisin, ils montrent leurs quatre kreuzers et demandent du lait ; mais le fermier ne jugea point à propos de se déranger pour une telle somme, et les renvoya impitoyablement. Ils continuent leur route, ils entrent dans une autre maison, où on leur sert du lait et des fruits en abondance. En retournant à Louisbourg, les deux enfans s’arrêtèrent sur une colline d’où l’on apercevait les deux fermes où ils avaient passé. Là, dans le sentiment de sa déception et de sa reconnaissance, le jeune Frédéric, étendant la main, prononça en stances cadencées une imprécation sur la demeure où leur prière avait été rejetée, et bénit celle où ils avaient reçu l’hospitalité.

En 1770, Gaspard Schiller fut nommé inspecteur du château de Solitude et quitta Louisbourg. L’enfant resta dans la maison de Jahn. Ce fut pour lui un douloureux changement. Jusque-là sa vie s’était écoulée doucement au foyer de famille, et son cœur s’était ouvert avec amour aux enseignemens de sa mère. Il se trouva dès-lors assujetti à la volonté d’un maître rude et impérieux, qui accompagnait ses leçons d’invectives et lui apprenait le catéchisme à coups de fouet. Sa seule consolation était d’aller de temps à autre voir ses parens dans leur nouvelle demeure. Il continuait à se préparer à l’étude de