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plus sans agrément ; sur certain Genevois moins léger, et « dont l’esprit ressemble à une lanterne sourde qui n’éclaire que celui qui la tient ; » sur toutes ces figures de sa connaissance et bientôt de la notre, elle jette des regards et des mots d’une observation vive, qui plaisent comme ferait la conversation même. Elle nous donne particulièrement à apprécier un de ses amis très affectueux et très mûrs, M. de Sainte-Lette, qui vient de Pondichéri, qui va y retourner, qui sait le monde, qui a éprouvé les passions, qui regrette sa jeunesse, et qui sur le tout est athée. Au XVIIIe siècle, en effet, il y avait l’athée ; il se posait tel ; c’était presque une profession. Quand on découvrait cette qualité chez quelqu’un, on en avait une sorte d’horreur, non sans quelque attrait caché. On en faisait part aux amis avec mystère ; ainsi de M. de Wolmar, ainsi de M. de Sainte-Lette. De nos jours, les trois quarts des gens ne croient à rien après la tombe, et ne se doutent pas qu’ils sont athées pour cela ; ils font de la prose sans le savoir, en parfaite indifférence, et on ne le remarque guère. Au fond, n’est-ce pas une situation pire, et la solennité incrédule du XVIIIe siècle n’annonçait-elle pas qu’on était encore plus voisin d’une croyance ?

M. Roland, avec une lettre d’introduction des amies d’Amiens, se présente de bonne heure ; mais on est long-temps à le deviner. Dès le premier jour, celle qui est destinée à illustrer historiquement son nom, tient à son estime et se soucie de lui paraître avec avantage ; mais l’esprit seul et la considération sont engagés. Dans ces visites d’importance, on cause de tout : l’abbé Raynal, Rousseau, Voltaire, la Suisse, le gouvernement, les Grecs et les Romains, on effleure tour à tour ces graves sujets. On est assez d’accord sur la plupart, mais Raynal se trouve être un champ de bataille assez disputé. M. Roland, dans son bon sens d’économiste, se permet de juger l’historien philosophique des deux Indes comme un charlatan assez peu philosophe, et n’estime ses lourds volumes qu’assez légers et bons à rouler sur les toilettes. La jeune fille admiratrice se récrie ; elle défend Raynal comme elle défendrait Rousseau. Elle n’est pas encore arrivée à discerner l’un d’avec l’autre ; elle en est encore à la confusion du goût ; en style aussi, elle n’a pas encore mis à sa place tout ce qui n’est que du La Blancherie. À chaque époque, il y a ainsi le déclamatoire à côté de l’original, et qui, même pour les contemporains éclairés, s’y confond assez aisément. Le meilleur de Campistron touche au faible de Racine, le Raynal joue souvent à l’œil le Rousseau. Le temps seul