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SCHILLER.

trouvait seul avec un de ses camarades dans la forêt de Lorch. Je renoncerais volontiers à tout ce que je possède, plutôt qu’à la joie que j’éprouve sous ces beaux arbres verts. » Au même instant, comme pour sanctionner son vœu, un pauvre enfant s’avance couvert de haillons et courbé sous le poids d’un lourd fagot. Frédéric court à lui, le regarde avec une tendre pitié, et lui donne tout ce qu’il a dans ses poches, jusqu’à une vieille monnaie d’argent dont son père lui avait fait cadeau le jour anniversaire de sa naissance.

Une autre fois il était sorti par une chaude journée d’été. Vers le soir, des nuages épais s’amoncèlent dans le ciel, l’éclair luit, la tempête éclate, et Frédéric ne paraît pas. Ses parens alarmés courent de côté et d’autre à sa poursuite, et son père le trouve tranquillement assis sur l’un des arbres les plus élevés de la colline. — Que fais-tu donc là, s’écrie-t-il, malheureux enfant ? — Je voulais savoir, répond Frédéric, d’ venait le feu du ciel.

Toutes ces émotions d’une vie passée dans les champs ou au foyer de famille, toutes ces études faites sous la direction de sa mère ou du pasteur Moser, s’alliaient en lui à un vif sentiment de religion et de piété. Déjà, quand on l’interrogeait sur ce qu’il deviendrait un jour, il déclarait qu’il se ferait prêtre, et, dans son ardeur enfantine pour l’état sacerdotal, il lui arrivait souvent de monter sur une chaise, le corps enveloppé d’un tablier en guise de surplis, et de faire sur un texte de la Bible des sermons auxquels il voulait qu’on prêtât une sérieuse attention, et qui, s’il faut en croire les biographes allemands, ne manquaient pas d’une certaine logique.

Cependant la position de ses parens était alors fort pénible et devenait de jour en jour plus intolérable. En sa qualité d’officier de recrutement, son père devait recevoir chaque mois une solde de 19 florins (environ 47 francs) ! et, pendant trois années de suite, il ne toucha pas un denier de ce modique traitement. Pour pouvoir subsister, il vendit pièce par pièce son petit patrimoine, il invoqua l’assistance de ses parens et amis ; mais enfin, hors d’état de soutenir plus long-temps cette situation, il s’adressa directement au grand-duc, qui, ayant reconnu la validité de ses titres, le fit incorporer dans la garnison de Louisbourg, et lui fit remettre l’arriéré de sa solde. À Louisbourg, Frédéric fut placé sous la direction d’un professeur de latin nommé Jahn, homme dur et froid, qui le premier lui fit sentir les rigueurs d’une vie de discipline et l’amertume du fruit scolastique. De joyeux et confiant qu’il était dans son heureuse retraite de Lorch, l’enfant devint, sous la férule de ce nouveau maître, timide et contraint.