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murs d’un cloître. Derrière cette colline s’élève une chaîne de montagnes qui donnent à ce romantique paysage un caractère grandiose, et dans le cloître sont les tombeaux des Hohenstaufen. L’histoire d’une époque féconde en traditions poétiques, en traditions chevaleresques, l’histoire d’une race héroïque, ardente, glorieuse, non moins célèbre par ses revers que par ses succès, était là à côté d’une nature agreste et primitive. Quel vaste champ pour une jeune imagination qui commençait à prendre l’essor ! Frédéric aimait à errer sous le mélancolique ombrage de ces forêts de sapins, à gravir au sommet de la colline, à s’asseoir pensif au pied des murs du cloître. Son ame se dilatait dans ces émotions intimes et charmantes, inconnues de tous ceux qui n’ont jamais habité que l’enceinte des villes, dans ce bonheur de voir et d’admirer tout ce que l’enfant, avec sa naïve spontanéité d’impressions, comprend bien mieux que l’homme avec sa réflexion et son esprit d’analyse, toutes ces grandes et riantes images d’un beau jour qui se lève sur la montagne, d’une vallée qui s’épanouit comme une corbeille de fleurs aux rayons du soleil, et ce jeu d’ombre et de lumière qui tour à tour voile ou éclaire les profondeurs de la forêt, et cette vie mystérieuse des plantes qui s’élèvent jusque sur les flancs décharnés du roc sauvage, et ces milliers d’êtres qui tourbillonnent dans l’air, flottent sur les eaux, se baignent dans une goutte de rosée ou s’égarent sur un brin d’herbe.

Souvent aussi, le père de Frédéric le conduisait dans le camp où il devait se rendre à différentes époques pour assister aux manœuvres, ou dans quelque vieux château des environs dont il lui racontait l’histoire, et chacune de ces excursions était pour l’enfant une source abondante de souvenirs. Les émotions de l’enfance ont des suites infinies. Pareilles à ces ruisseaux limpides de la Suisse qui coulent inaperçus sous des touffes de gazon et des rameaux d’arbres, elles poursuivent discrètement leur cours au dedans de notre ame, elles se cachent sous nos préoccupations nouvelles ; mais un mot échappé au hasard, un son fugitif, un point de vue accidentel les dévoile par un charme soudain, les fait revivre à nos yeux, et nous replace sous leur empire. Qui sait si l’histoire dramatique des Hohenstaufen, racontée à Schiller sur le tombeau même de cette famille de chevaliers et d’empereurs, n’imprima pas de bonne heure à son insu une tendance particulière à son esprit, et si les sensations qu’il puisa tout jeune dans son ardent amour pour la nature n’agirent pas plus tard sur sa destinée. « Oh ! qu’on est bien ici ! s’écriait-il un jour qu’il se