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REVUE DES DEUX MONDES.

Les deux tiers du travail de Raymond Lulle n’aboutissent, à travers des manipulations sans nombre, qu’à extraire du mercure purifié du cinabre d’Espagne, ou sulfure de mercure natif. Un autre ingrédient qu’il qualifie assez singulièrement d’huile, vient figurer dans son opération ; cette huile prétendue, pour la composition de laquelle il vous renvoie à l’expérience no 1 de son ouvrage, se trouve n’être tout simplement que du tartrate acide de potasse, ou crème de tartre, que l’auteur, toujours dans son idée de quintessence, met six longs mois à préparer, en la dissolvant, filtrant, puis évaporant chaque jour, sans en obtenir, bien entendu, autre chose à la fin que ce qu’il y avait mis au commencement. Ces deux substances une fois mises en rapport, on ne comprend pas trop comment tout à coup intervient une poudre brune dont l’auteur ne fait pas connaître la nature ; mais telle est son importance, que l’addition de cent parties de mercure a, selon lui, pour résultat la conversion du tout en un or plus pur que l’or minéral.

Pendant son voyage en Angleterre, Raymond Lulle n’a-t-il fait qu’altérer habilement la monnaie d’or, en croyant sincèrement augmenter la quantité de volume de ce métal par des mélanges, ou bien a-t-il réellement fait de l’or, comme l’affirme J. Cremer ? C’est ce que je laisse à décider aux savans. Quoi qu’il en soit, la commission qu’Édouard donna à Raymond Lulle de surveiller la fonte des matières employées à la monnaie, prouve évidemment que le docteur illuminé passait avec raison pour un très habile métallurgiste.

Les chimistes des XIe, XIIe et XIIIe siècles étaient-ils des fous, et la transmutation des métaux est-elle une opération impossible ?

Il ne m’appartient pas de traiter une pareille question, et je me bornerai à rapporter à ce sujet les paroles d’un des chimistes les plus éclairés de nos jours : « S’il ne sort de ces rapprochemens, dit M. Dumas[1], aucune preuve de la possibilité d’opérer des transmutations dans les corps simples, du moins s’opposent-ils à ce qu’on repousse cette idée comme une absurdité qui serait démontrée par l’état actuel de nos connaissances. »


E. J. Delécluze.
  1. Leçons sur la Philosophie chimique, neuvième leçon, pag. 320.