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SCHILLER.

au monde avec une constitution délicate, et qui souvent tombait malade. En 1763, Gaspard Schiller rentra dans sa patrie ; deux ans après, il alla occuper à Lorch, sur la frontière du Wurtemberg, le poste de capitaine de recrutement. Ce fut là que Frédéric commença ses études. Un digne pasteur, nommé Moser, lui enseigna les élémens du grec et du latin[1]. Sa mère, qui, deux années auparavant, lui avait appris à lire et à écrire, continuait en même temps ses douces leçons. Tantôt elle lui racontait une histoire biblique que l’enfant écoutait avec une religieuse émotion ; tantôt elle le distrayait par une de ces naïves et charmantes traditions dont le peuple allemand a si bien gardé la mémoire ; tantôt enfin elle lui faisait lire les plus beaux passages de ses poètes favoris, les vers solennels de la Messiade, dont les trois premiers chants venaient de paraître, les cantiques de Gherard, les fables de Gellert. Quelquefois aussi elle remontait avec lui vers une époque plus reculée, et lui faisait faire, pour ainsi dire, un cours de littérature, en lui apprenant à connaître les poètes d’une autre école, en lui indiquant leurs qualités et leurs défauts. Il n’est pas rare de trouver en Allemagne des femmes d’une condition obscure qui, n’ayant jamais reçu que les plus simples élémens d’instruction, se développent elles-mêmes dans le cours de leur vie paisible et retirée, et parviennent, par la lecture, à se former le goût, à acquérir des connaissances littéraires étendues, d’autant plus douces à observer qu’elles sont presque toujours alliées à une grande modestie, et complètement dégagées de toute prétention et de toute pédanterie. La mère de Schiller était une de ces femmes. Les dieux du foyer domestique lui avaient révélé dans les heures de repos du dimanche, dans les veillées de l’hiver, l’aimable savoir que d’autres vont inutilement chercher dans l’ambitieux travail des écoles.

Tandis que les leçons classiques du prêtre et les enseignemens maternels exerçaient ainsi de bonne heure l’intelligence du jeune Frédéric, l’amour de la nature, cette source adorable de tant de nobles pensées, de tant de salutaires émotions, s’éveillait dans son cœur. Des riantes et fraîches vallées du Necker qui entourent la jolie ville de Marbach, il se trouvait tout à coup transporté dans une contrée d’un aspect sévère et imposant. Le village de Lorch est bâti au bord d’une plaine silencieuse entourée de pins, au pied d’une colline parsemée de grands arbres au feuillage sombre et couronnée par les

  1. C’est sans doute pour rendre hommage à son premier maître que Schiller a donné le nom de Moser au pasteur qui figure dans les Brigands.