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RAYMOND LULLE.

La réalité de ce voyage a été contestée par les auteurs espagnols, qui en écrivant la vie de Raymond, bienheureux martyr, se sont efforcés de faire croire qu’il ne s’est jamais occupé de chimie ; on ne peut cependant à ce sujet concevoir aucun doute[1]. Outre les lettres du savant sur les opérations du grand œuvre, adressées au roi Édouard en 1312[2], il y a un passage d’un de ses livres intitulé : Compendiun transmutatios animæ, où, en parlant de certaines coquilles qu’il eut l’occasion d’observer, il dit : Vidimus ista omnia dum ad Angliam transiimus propter intercessionem domini regis Edoardi illustrissimi — J’ai vu ces choses lorsque je passais en Angleterre, d’après la prière que m’en avait faite le très illustre roi Édouard.

Si le fait du voyage est avéré, il faut convenir que le peu que l’on sait sur son séjour à Londres est enveloppé d’un assez grand mystère. D’après le témoignage de quelques écrivains anglais, il paraîtrait que Raymond Lulle fut employé à faire de l’or et à surveiller la fabrication de la monnaie en Angleterre. On dit que, toujours préoccupé de l’idée de reconquérir la Terre-Sainte, Raymond se fit illusion sur les véritables motifs qui donnaient à Édouard le désir de posséder de grandes richesses. Il s’imagina que ce prince ne voulait en faire usage que pour la cause sainte, tandis qu’au contraire Édouard, gouverné par des favoris, et passant ses jours dans l’oisiveté et les délices, ne prétendait user de la science du chimiste que pour faire face à ses profusions. Dans ce conflit de passions si contraires, le zèle du missionnaire et la cupidité du roi, il est difficile de déterminer lequel des deux a été le plus dupe ; mais ce que l’histoire rapporte, et ce que Raymond affirme dans son Dernier Testament, c’est le succès d’une expérience qui tendait à convertir en une seule fois en or cinquante mille pesant de mercure, de plomb et d’étain : Converti in unâ vice, in aurum, ad L millia pondo argenti vivi plumbi et stanni.

Édouard, beaucoup plus curieux de voir le résultat des opérations du chimiste que préoccupé de l’emploi sacré que le missionnaire prétendait que l’on en fît, reçut Raymond Lulle en le comblant de caresses et d’honneurs. Jean Cremer, abbé de Westminster, contemporain de Lulle, et qui, comme lui, s’adonnait à l’étude de la chimie, a laissé dans son Testament des détails sur cette réception[3]. « J’in-

  1. Vida y hechos del admirable dotor y martyr Ramon Lull de Mallorca, por el dotor Juan Seguy, canonigo de Mallorca ; en Mallorca, año 1606.
  2. Voyez tome Ier, page 863, de la Bibliothèque chimique de Mauget.
  3. Cet ouvrage, Cremeri abbatis Westmonasteriensis testamentum, se trouve