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isolément et pour elle-même. L’une était la conséquence de l’autre et c’était au moyen des degrés plus ou moins bien établis qu’elles offraient, que l’intelligence s’élevait successivement jusqu’à la théologie. Cette idée de la vérité absolue, on la voit également poursuivie avec la même constance et la même opiniâtreté pieuse dans les poèmes de Dante, dans les écrits de Roger Bacon, dans les nombreux traités de Raymond Lulle.

Néanmoins les ouvrages qui donnèrent une célébrité si grande au docteur illuminé, non-seulement vers la fin de sa vie, mais durant quatre siècles après sa mort, et firent naître une foule d’adeptes connus sous le nom de lullistes, ce sont particulièrement les livres destinés à enseigner les moyens de séparer le faux du vrai, de trouver la vérité, de donner des définitions précises, d’établir, d’enchaîner, de présenter clairement des raisonnemens justes, et de ne point se tromper sur la nature des choses divines, intellectuelles et physiques. Cette science du raisonnement, cet art, car c’est ainsi qu’il le désignait, fut l’objet constant des recherches de toute sa vie, et les soixante traités différens qu’il a écrits sur l’art démonstratif de la vérité, ne sont, ainsi que l’on peut s’en convaincre en les comparant, que des variantes du même ouvrage. Entre le Grand Art et l’Art bref, dans lesquels sa méthode pour développer l’intelligence et diriger le raisonnement est comprise, il a fait une foule de livres qui s’y rapportent et ne sont que le développement de quelques questions particulières[1]. Mais, en résumé, l’Art bref est, de tous les ouvrages de cette espèce, celui où Raymond Lulle a déposé, sinon avec clarté, du moins de la manière la plus succincte, sa méthode de développer l’entendement humain. C’est ce livre qui lui fit donner le titre de docteur illuminé, et dont l’Université de Paris reconnut l’excellence et recommanda l’usage en 1309 ; c’est cet ouvrage enfin qui fit si fortement sentir son influence pendant les XIVe, XVe et XVIe siècles en Europe, et en faveur duquel des hommes d’un grand mérite écrivaient encore des livres apologétiques, des notes, des commentaires, en Italie, en Allemagne et en France, vers 1668[2].

  1. Voici les titres de quelques-uns de ces traités : l’Art de la science générale — Nouvelle méthode de démontrer. — L’Art inventif. — Livre de la démonstration. — Livre de la montée et de la descente de l’entendement. — L’Arbre des Sciences, etc.
  2. L’édition portant le titre : Raymondi Lulli opera, etc., Argentorati, 1617, est accompagnée de notes et commentaires de Jordano Bruno, de Henry Cornelius Agrippa et de Valerio de Valeriis. L’Apologie de la vie et des œuvres de R. Lulle, par Perroquet, porte la date de 1668.